Micrologies

Civilis (Julius ou Claudius)
Chef batave (Ier siècle)


On peut lire dans Tacite (Histoires, l. IV et V), l’histoire de Gaius Julius Civilis. Ce chef batave profite de la vacance du pouvoir à Rome en 69, entre les règnes de Vitellius et de Vespasien, pour soulever non seulement sa région d’origine (les actuels Pays-Bas), mais aussi les Belges, les Germains et une partie de la Gaule. L’épisode jette un jour intéressant sur l’état de la romanisation au milieu du Ier siècle : d’un côté, celle-ci est encore mal assurée ; plus d’un siècle après Alésia, et malgré l’édit de Claude, des Gaulois peuvent encore se révolter : la division en tribus subsiste sous l’organisation administrative des provinces romaines.

Mais en même temps, la force militaire des rebelles vient de la discipline qu’ils ont apprise dans les légions, où ils servaient souvent comme auxiliaires, tel Civilis. Le triple nom latin de ce dernier montre d’ailleurs qu’il était citoyen romain. Les hésitations de ses troupes – et des Romains en face – à définir ce mouvement guerrier (guerre civile ? sédition ? insubordination ?) prouvent que dans la romanité, la frontière entre le dedans et le dehors est tracée approximativement. Peut-être sont-ce ces marges, ces marches, ces barbares à demi romanisés qui donnent en fait souplesse au système et sécurité relative aux frontières. D’ailleurs on sait aussi que Civilis vaincu fit sa paix avec Rome : on n’est plus au temps de César et de Vercingétorix.

L’histoire de Civilis connaît une résurgence au XVIIe siècle, dans les Provinces-Unies indépendantes. Elle participe à la naissance d’un mythe national néerlandais (1), développé notamment par le juriste Grotius et dont porte trace une œuvre du peintre Otto Van Veen, La Conjuration de Claudius Civilis (1600-1613), sorte de BD qui montre en douze tableautins les étapes de la révolte batave. C’est surtout le sujet d’un tableau de Rembrandt, La Conspiration de Claudius Civilis, le plus grand qu’il ait peint, dont ne subsiste aujourd’hui que la partie centrale, au Musée national de Stockholm. (2) Dans cette scène étrange, aux tons de jaune et de brun, mais presque monochrome, où les visages sont baignés d’une lumière indirecte, les personnages, statiques et graves, sont vêtus de façon intemporelle ; Civilis porte une haute coiffure de style oriental ; conformément au récit de Tacite, il est borgne, ce qui le rapproche d’Hannibal et de Sertorius, autres borgnes fameux révoltés contre Rome. Toute allusion à sa romanité est ainsi effacée. Se détachent surtout les épées croisées sur lesquelles les conjurés prêtent serment et le regard cyclopéen de cet œil unique.



Rembrandt, La Conspiration de Claudius Civilis, via Wikimedia Commons.

1. Voir à ce sujet le lien suivant : http://bsa.biblio.univ-lille3.fr/blog/2011/04/tacite-rembrandt-et-les-bataves/ .
2. En 2016, cette œuvre était présentée au Rijksmuseum d’Amsterdam. L’hésitation sur le nom (Claudius au lieu de Julius) est un symptôme clair du déplacement de l’histoire vers le mythe.



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