Micrologies

Vercingétorix


Lionel Royer, Vercingétorix se rendant à César, via Wikimedia Commons.

Dans la Guerre des Gaules de César, le récit de la reddition de Vercingétorix à Alésia est d’une sobriété qui confine à la sécheresse :

Iubet arma tradi, principes produci. Ipse in munitione pro castris consedit : eo duces producuntur ; Vercingetorix deditur, arma proiciuntur. (VII, 89, 3-4.)

Il ordonne qu’on lui remette les armes, qu’on lui amène les chefs des cités. Il installa son siège au retranchement, devant son camp c’est là qu’on lui amène les chefs ; on lui livre Vercingétorix, on jette les armes à ses pieds. (trad. L.-A. Constans).

On peut comparer avec la même scène chez Plutarque (v. 45-v. 120 ap. J.-C.) :

Ὁ δὲ τοῦ σύμπαντος ἡγεμὼν πολέμου Οὐεργεντόριξ ἀναλαβὼν τῶν ὅπλων τὰ κάλλιστα καὶ κοσμήσας τὸν ἵππον, ἐξιππάσατο διὰ τῶν πυλῶν· καὶ κύκλῳ περὶ τὸν Καίσαρα καθεζόμενον ἐλάσας, εἶτ´ ἀφαλόμενος τοῦ ἵππου, τὴν μὲν πανοπλίαν ἀπέρριψεν, αὐτὸς δὲ καθίσας ὑπὸ πόδας τοῦ Καίσαρος ἡσυχίαν ἦγεν, ἄχρι οὗ παρεδόθη φρουρησόμενος ἐπὶ τὸν θρίαμβον.

Le chef suprême de la guerre, Vercingétorix, prit ses plus belles armes, para son cheval et franchit ainsi la porte de la ville. Il vint caracoler en cercle autour de César qui était assis, puis, sautant à bas de sa monture, il jeta toutes ses armes et s’assit lui-même aux pieds de César où il ne bougea plus, jusqu’au moment où César le remit à ses gardes en vue de son triomphe. (Trad. R. Flacelière.)

Ce deuxième récit « n’a aucune vraisemblance historique » (Constans), la scène « semble avoir été quelque peu arrangée par Plutarque (ou sa source) » (Flacelière). Pourtant cette version est acceptée telle quelle par J. Carcopino, thuriféraire de César et du césarisme (1):

J’ai préféré suivre ici la version commune […], malgré le dédain dont on l’accable souvent, […], parce que l’on n’aperçoit que trop l’intérêt que César avait ici à diminuer le héros gaulois, et aussi parce qu’il ne suffit pas qu’une scène soit belle pour lui dénier [de la] vraisemblance.

En somme, Carcopino utilise le texte de Plutarque contre celui de César, dans le but de mieux exalter le succès de ce dernier (en valorisant son adversaire). C’est le même Carcopino qui soutenait qu’après l’échec de Gergovie, selon lui relatif et volontairement exagéré par César, le chef romain aurait délibérément simulé la fuite pour attirer les Gaulois vers le piège qu’il leur avait préparé d’avance à Alésia (2).

Dans le chapitre consacré à Vercingétorix par M. Rambaud (3), on trouve une autre interprétation : il constate lui aussi la « concision surprenante » de la scène. Selon lui, « il faut voir qu’écrivain capable de composer une scène dramatique, il n’a pas voulu le faire ici, comme si dépeindre le défenseur de la Gaule aux historiens de l’avenir était étranger à son dessein. » En fait, si l’on suit cet auteur, « le but du Bellum Gallicum est, en somme, de présenter une explication plutôt qu’un personnage ». Quelle explication ? Le traitement du chef gaulois dans l’œuvre obéit à des fins de propagande : en ramenant le patriotisme gaulois à la figure un peu abstraite de Vercingétorix, en en faisant son ennemi principal et pour ainsi dire unique, César pouvait masquer l’ampleur d’une révolte dont le Gaulois n’était que l’un des chefs, et qu’il fallut encore deux longues années à son lieutenant Hirtius pour achever : « En publiant un récit arrêté à l’automne de 52 [juste après Alésia], il a pu amplifier le rôle du chef arverne, fausser la perspective de l’histoire et cacher la résistance de toute une nation. »

1. Jules César, Paris, 1938, rééd. 1968, p. 332-333.
2. Ibid., p. 318-321.
3. L’Art de la déformation historique dans les Commentaires de César, Paris, 1952, rééd. 1966, p. 301-311.



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