Karlheinz Stierle (1) met en relief la modernité de Charles d’Orléans comme inventeur de la mélancolie littéraire. Le poète, selon lui, s’empare des formes poétiques de la sociabilité de cour pour leur donner une nouvelle fonction. Ainsi la récurrence (dans le rondeau) n’est plus refrain joyeux mais enfermement dans l’immuable. De même, l’allégorie n’est plus une abstraction rhétorique (comme chez Prudence, par exemple), mais elle devient une puissance psychique intériorisée, figure par excellence de la mélancolie. Le flux de la tristesse s’immobilise ainsi dans l’encre figée de la mélancolie.
On retrouve ici les analyses de cet auteur sur Melencolia I de Dürer, ou sur « Le Cygne » de Baudelaire. Dans ces œuvres, comme chez Nerval ou Verlaine, il y a « correspondance entre allégorie et subjectivité totalisante d’une conscience perdue en elle-même sous le signe de la mélancolie ». Par « subjectivité totalisante », Stierle entend « une pétrification du monde comme objectivation d’un regard totalisant » ; c’est-à-dire que « la subjectivité mélancolique s’est approprié le monde et le façonne à son image ». On retrouverait, je crois, la même disposition mentale dans le spleen de Laforgue (« Tout m’ennuie aujourd’hui… »). Le titre de l’article (« Valse mélancolique : Charles d’Orléans qui revient ») relie explicitement le poète médiéval à Baudelaire : même tournoiement immobile de la mélancolie.
On peut joindre à cette analyse les remarques de Starobinski (2) sur la « merencolie » de Charles d’Orléans. Dans les plus aboutis de ces poèmes, selon lui, l’humeur noire de la mélancolie, « eau noire », se change en encre, dont sont faits ces textes sur l’impossibilité d’écrire (même si, au bout du compte, ils ont pourtant été écrits…).