Micrologies

Rose trémière

ARTÉMIS

La Treizième revient… C’est encor la première ;
Et c’est toujours la seule, — ou c’est le seul moment :
Car es-tu reine, ô toi ! la première ou dernière ?
Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?…


Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ;
Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement :
C’est la mort — ou la morte… Ô délice ! ô tourment !
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.


Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule :
As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux ?



Roses blanches, tombez ! vous insultez nos dieux,
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle :
— La sainte de l’abîme est plus sainte à mes yeux !

À l’ouverture de ce sonnet de Nerval, qui évoque le cycle des heures, répond au second quatrain cet autre vers, qui fait apparaître la Mort :

« La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière. »

Or « trémière » est un mot-valise, formé de « treizième » et de « première ». La treizième heure rejoint la première dans un cycle sans fin. Selon Stierle à qui est empruntée cette remarque, « le sonnet « Artémis » tourne ainsi en rond comme les rondeaux de Charles d’Orléans, dans un tourbillon du même […]. Le « je » est pris dans une circularité sans issue. » (1) C’est aussi, fait-il remarquer, la « valse mélancolique » de Baudelaire dans « Harmonie du soir » :

« Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir,
Valse mélancolique et langoureux vertige.
 »

On est là, selon lui, au cœur même de la poétique de la mélancolie.

1. Karlheinz Stierle, « Valse mélancolique : Charles d’Orléans qui revient », in Michel Zink (dir.), Livres anciens, lectures vivantes, Paris, 2010, p. 140-141.

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