Micrologies

Augustin au théâtre


C’est une curieuse expérience que proposait en 2011 le metteur en scène Denis Guénoun, en adaptant au théâtre le livre XI des Confessions. Le pari était osé, mais porté de bout en bout par un jeune comédien remarquablement engagé, Stanislas Roquette.

Après la représentation, un philosophe, Thomas Dommange, apportait un éclairage vivant sur ce texte et sa théâtralité. D’une part, disait-il, Augustin est « acteur » de la parole divine, il met son verbe au service d’une vérité qu’il découvre en lui tout autant qu’en Dieu, puisque Dieu est plus lui que lui-même. D’autre part, le mode d’énonciation par lequel Augustin s’adresse à Dieu, à la deuxième personne, produit un discours entièrement « fracturé par la présence de l’autre » . Cette parole « adressée » est éminemment théâtrale.

Peu sensible aux implications théologiques du texte, j’ai été frappé par la justesse avec laquelle le discours d'Augustin sur le temps rendait compte, par la bouche du comédien, de l’expérience du spectateur, suspendu à la parole proférée dans l’instant présent (le seul temps réel, pour Augustin). Cette parole glisse continûment dans un passé où elle n’existe plus, ne laissant de trace que dans la mémoire, c’est-à-dire dans le souvenir présent de ce passé. Cependant, le spectateur est tendu dans l’attente d’une suite du discours, dont il anticipe l’existence sans en connaître le contenu, qui n’existe pas encore pour lui. Présent du passé, présent du présent, présent du futur : c’est ainsi qu’Augustin propose de rebaptiser les temps grammaticaux (ou plutôt ces modalités subjectives du temps). Il est à remarquer que pour décrire la durée, il prend ses exemples justement dans les arts de la performance, que ce soit le chant ou le discours oratoire, avec leur début, leur milieu et leur fin. Toutes ces remarques, d’ailleurs, s’appliquent à plus forte raison à l’écoute de la musique.



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