Le terme de « mémoires » , au pluriel, désigne un récit à la première personne, mais aussi « un témoignage "authentique", "de première main", sur des affaires politiques ou militaires auxquelles l’auteur a été mêlé, et qu’il lui importe, ainsi qu’à sa gens, de faire connaître à son honneur, et non pas selon l’optique des historiens officiels » (1). Marc Fumaroli, auteur de cette définition, en donne quelques exemples dans ses Exercices de lecture (2). Ainsi, Henri de Campion, gentilhomme normand qui vécut sous Louis XIII et Louis XIV, a laissé dans ses Mémoires un tableau vivant de l’époque ; écrits pour un usage privé, ils joignent à la chronique historique les réflexions libres et franches de leur auteur. Ils n’ont été publiés qu’en 1806.
Mme de Motteville, elle, était dame de compagnie d’Anne d’Autriche. Choisie par la reine pour ses origines espagnoles et son austère dévotion, elle lui reste fidèle toute sa vie, malgré les errements de celle-ci et ses faiblesses (pour Mazarin). Ses Mémoires célèbrent certes la souveraine, mais relèvent aussi d’une méditation désabusée sur le monde, dont s’est déprise la narratrice en sa vieillesse.
De tels textes sont l’œuvre de gentilhommes en fin de carrière, ou de dames retirées du monde, pas de lettrés. L’éventuel bonheur d’écriture n’est pas travaillé, mais spontané, non recherché comme tel. C’est après 1789, précise Fumaroli, que la littérature, se constituant comme telle, récupère ces œuvres conçues initialement hors du champ des « belles-lettres ».
Une formule usuelle pour l’édition de ces textes est : « Mémoires écrits par lui-même (elle-même) » : rien que sur la première page d’un moteur de recherche, je la vois utilisée pour des Mémoires d’auteurs très variés (le cardinal de Retz, Louise Michel, la baronne de Staal, Luther, Alfieri, le préfet de police Gisquet) mais aussi pour des textes romanesques comme ces Mémoires de Cécile écrits par elle-même publiés en 1751 et d’auteur anonyme. L’expression nous paraît redondante, tant nous associons le terme de « Mémoires » au genre autobiographique. Mais auteur et personnage central peuvent être distincts : il n’est que de rappeler que les Mémoires du comte de Gramont (1713) ont été écrits par Antoine Hamilton : ce sont en fait des Mémoires (romancés) sur le comte de Gramont.
Qu’ajoute alors la mention « écrits par lui-même » ? Sans doute l’attrait d’une authenticité supplémentaire participant au goût du public pour les personnes célèbres et pour leur biographie, tel qu’il a été étudié par Antoine Lilti (3). Il serait intéressant de vérifier alors si l’expression date bien du XVIIIe siècle, point de départ du phénomène social de la célébrité qu'analyse cet auteur. De fait, pour se limiter à l’échantillon mentionné ci-dessus, le texte de Retz ne fut publié qu’en 1717, et sous le simple titre de Mémoires ; la version numérisée proposée en ligne est postérieure. L’édition de Luther mentionnée est la traduction de Michelet ; elle date de 1835.