Micrologies

Delacroix et Chopin


Le critique italien Roberto Calasso a repéré dans le Journal de Delacroix un passage où le peintre rapporte une longue conversation qu’il a eue avec Frédéric Chopin (7 avril 1849) (1). « Et nous verrons alors ce duo qu’une sotte tradition assignait au culte exclusif des sentiments et des passions, s’enflammer à la pensée d’un caractère de déduction quasi scientifique inhérent à l’art (à n’importe quel art), d’une connaissance permettant de traiter avec impatience même l’inspiration ».

Chopin explique en effet à Delacroix qu’il existe une logique musicale, celle de l’harmonie, du contrepoint, de la fugue. Ce que le peintre commente ainsi :

Je lui demandais ce qui établissait la logique en musique. Il m’a fait sentir ce que c’est qu’harmonie et contrepoint ; comme quoi la fugue est comme la logique pure en musique, et qu’être savant dans la fugue, c’est connaître l’élément de toute raison et de toute conséquence en musique. […] C’est que la vraie science n’est pas ce que l’on entend ordinairement par ce mot, c’est-à-dire une partie de la connaissance différente de l’art. Non, la science envisagée ainsi, démontrée par un homme comme Chopin, est l’art lui-même, et alors l’art n’est plus ce que croit le vulgaire, c’est-à-dire une sorte d’inspiration qui vient de je ne sais où, qui marche au hasard, et ne présente que l’extérieur pittoresque des choses. C’est la raison elle-même ornée par le génie, mais suivant une marche nécessaire et contenue par des lois supérieures (2).

Du même ordre, selon Calasso, l’admiration de Baudelaire pour Poe : « Dans les livres d’Edgar Poe, le style est serré, concaténé ; la mauvaise volonté du lecteur ou sa paresse ne pourront pas passer à travers les mailles de ce réseau tressé par la logique (3). » Ce n’est pas le moindre intérêt de ce livre que de bousculer les poncifs de l’histoire culturelle, comme quand cet auteur décèle chez Ingres un romantique qui s’ignore...

1. R. Calasso, La Folie Baudelaire, [2008], trad. fr. Paris, 2011, p. 88-91.
2. E. Delacroix, Journal, cité par R. Calasso, op. cit. p. 190.
3. Baudelaire, Edgar Allan Poe, sa vie, ses ouvrages, cité par R. Calasso, loc. cit..



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