Micrologies

Ingres : Jupiter et Thétis


Ce tableau imposant conservé au musée Granet, à Aix, montre, sur le fond d’un ciel bleu profond, le dieu assis majestueusement sur son trône, torse nu et corps drapé de rose, le sceptre à la main et l’aigle à ses côtés. Agenouillée devant lui, la déesse Thétis, mère d’Achille , le haut du corps dénudé, lui touche le genou et le menton dans un geste de supplication.


Jean-Dominique Ingres, Jupiter et Thétis, 1811.
Source : Wikicommons.

Cette œuvre est analysée par Roberto Calasso dans son grand livre sur Baudelaire (1). Il montre comment le tableau contredit par sa facture l’esthétique classique pourtant affichée par Ingres : violence du ciel indigo, érotisme de la figure de Thétis dont le sein repose sur la cuisse du dieu et dont l’orteil effleure le sien, regards intenses portés sur la scène par l’aigle et par Junon qui se montre sur la gauche.

Calasso enrichit aussi son étude du tableau par la référence au mythe. Cette œuvre est inspirée par un très court passage de l'Iliade (I, v. 500-502) où Thétis implore Zeus en faveur de son fils Achille :

καί ῥα πάροιθ᾿ αὐτοῖο καθέζετο, καὶ λάϐε γούνων
σκαιῇ, δεξιτερῇ δ᾿ ἄρ᾿ ὑπ᾿ ἀνθερεῶνος ἑλοῦσα
λισσομένη προσέειπε Δία Κρονίωνα ἄνακτα.

Elle s’accroupit à ses pieds, de sa gauche saisit ses genoux, de sa droite le prend au menton, et, suppliante, parle ainsi à sire Zeus, fils de Cronos (trad. P. Mazon).

On ne peut qu’être frappé de la minceur de l’argument, simple description de la posture traditionnelle des suppliants, au regard de la puissance de l’œuvre picturale, surchargée de sens et de densité émotionnelle par son arrière-plan mythologique. En effet, de toutes les femmes ou déesses qu’a aimées Zeus, Thétis est la seule avec qui il n’a jamais pu s’unir, puisque le destin voulait que le fils qui naîtrait d’elle fût plus puissant que son père. Zeus l’a donc contrainte à épouser un simple mortel, Pélée, devenu le père d’Achille. Le regard fixe et comme absent de Jupiter sur le tableau d’Ingres est donc, selon Calasso, celui du désir inassouvi et impossible : tension érotique extrême de cette œuvre marmoréenne.

1. La Folie Baudelaire, trad. fr. Paris, 2011, pp. 137-145.



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