Micrologies

La Clarté Notre-Dame


C’est là le titre du dernier texte publié par Philippe Jaccottet avant sa mort en 2021. Cette plaquette regroupe une série de notes en prose prises par le poète entre 2012 et 2020 : ultime approfondissement de cette expérience répétée qui est au cœur de sa poésie, celle des « signes » qu’il reçoit du monde extérieur et qui seuls lui semblent capables de contrebalancer, par la sérénité que lui procurent ces sortes d'« appels », la noirceur du monde et l’approche insistante de la mort.

Tout le texte (une quarantaine de pages) est l’expansion d’une brève notation initiale, par ajouts successifs, ou plutôt par élargissement de cercles concentriques, comme des ronds dans l’eau :

« Note du 19 septembre 2012 : « Ne pas oublier, ce printemps, la petite cloche des vêpres à la Clarté Notre-Dame, d’une incroyable limpidité dans le grand paysage gris et silencieux — vraiment comme une espèce de parole, d’appel ou de rappel, un tintement pur, léger, fragile et pourtant net — dans la distance grise de l’air. » » 

Les doubles guillemets (qui sont de l’auteur) indiquent comment s’est écrit le texte : d’abord, l’impulsion initiale, ce tintement de cloche entendu, précise Jaccottet, le 4 mars 2012 lors d’une promenade dans le voisinage d’un couvent ; puis la résonance intérieure de ce son entendu ; elle trouve place dans l’écriture six mois plus tard, le 19 septembre, sous la forme du passage qui commence par « Ne pas oublier... » ; plus tard encore la reprise de cette note dans l’élaboration ultérieure du texte, qui l’intègre entre guillemets, comme une citation ; « un an environ » s’est maintenant écoulé. Par la distance temporelle maintenue, par la superposition des couches d’écriture, le poète maintient, entre la sensation et l’écriture, une tension qui n’a pas à être résolue mais qui constitue l’essence même de l’expérience poétique telle que la vit Jaccottet : « limpide, gris, pur, léger, fragile » : ces termes peuvent s’appliquer tout aussi bien au texte qu’il écrit, d’une neutralité adoucie, et qui semble se dissoudre lui aussi dans le gris et le silence sur lesquels il se détache à peine, limpide et fragile comme le tintement de la cloche. L’écriture est celle de la mort qui s’approche par le silence qui se fait, quelque chose comme la disparition du sujet, du langage et du monde à la fin de la pièce d’Ionesco, Le roi se meurt. Ce texte apparaît donc aussi comme l’adieu d’une voix qui résonne encore avant de s’éteindre : rien ne peut être dit au-delà de son écho.



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