Micrologies

Lettres classiques


Au XXe siècle, la filière d’études dite de « Lettres classiques » fut une singularité de l’Université française. Réunissant l’apprentissage de la littérature française, de la littérature et des langues grecque et latine, elle ne correspondait à aucune catégorie de la recherche universitaire (pas plus que l’« histoire-géographie »), mais bien plutôt aux besoins de la formation des professeurs de l’enseignement secondaire.

Très vite détachées de leur objectif initial (former à la pratique des discours par l’observation des grands modèles), les Lettres classiques opéraient un découpage original dans le champ du savoir : d’un côté l’étude de l’Antiquité classique, de moins en moins centrée sur l’étude de la langue et de la rhétorique, mais marquée par les sciences historiques et l’anthropologie ; de l’autre une approche diachronique de la littérature française qui relevait de l’histoire culturelle (histoire des idées plutôt que philosophie), tout en accueillant en son temps cette sacralisation du texte qui depuis les années 1960 avait accompagné et compensé la « mort de l’auteur ».

Il en résultait une grande variété…

De l’intérêt pédagogique de cette formation et de cet enseignement nous ne discuterons pas ici : qu’il suffise de dire que l’emploi du passé dans cette page tient à la fois de l’acte de décès et de l’éloge funèbre.

François Hartog (1) propose une analyse intéressante de l’impasse actuelle des études classiques, qui selon lui sont à la fois plus et moins qu’une discipline : plus, à cause de la place qu’elles ont longtemps occupée ; moins, à cause de l’émiettement qui les caractérise : variété des désignations et des champs de savoir d’un pays à l’autre et dans le même pays, hétérogénéité des spécialisations et de leurs découpages. En découle leur place contestée dans l’enseignement secondaire : « Moins les Anciens sont présents dans l’espace public, plus progresse leur disciplinarisation ; mais plus se réduit leur présence (au-dehors), moins il est aisé de les défendre (à l’intérieur du système scolaire) comme discipline. » D’où ce paradoxe : les défenseurs des humanités comme tradition culturelle, dont les arguments sont peu audibles, « finissent par desservir les études classiques comme spécialité et discipline » ; à l’inverse, ceux qui les définissent sur une base disciplinaire ont du mal à justifier qu’on maintienne des classicistes aussi nombreux.

Quoi qu’il en soit, ces pages relèveront donc des « Lettres classiques » : par la variété des sujets, auteurs et époques abordés ; par la diversité des approches, qui n’obéissent à aucun modèle doctrinal, à aucun présupposé nettement affiché. C’est la limite de ce travail, c’est aussi ce qui peut, on l’espère, en faire le sel.

La pratique scolaire dominante dans l’enseignement des Lettres (c’est-à-dire celle qui est demandée au baccalauréat), c’est l’explication de texte (ou lecture méthodique). Elle amène à aborder les textes dans une démarche analytique, par la mise en évidence de leurs singularités. C’est donc aussi la méthode qui sera suivie dans ces pages, qui seront autant de notes ou de remarques de détail, de « micrologies » dont on espère qu’elles puissent ouvrir aussi parfois des perspectives plus larges.

1. « Le Double Destin des études classiques », Partir pour la Grèce, Paris, 2015, p. 49-68.

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