Micrologies

Saint-Simon janséniste ?


Dans son livre sur Saint-Simon, (1) Emmanuel Le Roy Ladurie insiste beaucoup sur les « renonçants » , ces grands seigneurs ou ces dames qui quittaient la société de cour et Versailles pour se consacrer à une austère retraite. C’est un phénomène social non négligeable au temps de Louis XIV (avec Rancé, bien sûr, comme archétype, le Rancé de Chateaubriand et comme expression littéraire l'Alceste de Molière, ou la princesse de Clèves ). C’est la seule façon, selon Le Roy Ladurie, d’échapper à l’univers holiste de la société de rangs. Saint-Simon a une sorte de fascination pour ces personnages, qui récusent pourtant ce qui fait la structure de son univers social et mental.

Holiste : c’est justement dans l’analyse du renoncement que Le Roy Ladurie se rapproche le plus de Louis Dumont : toute société de caste suscite son propre exutoire, soit par la subversion interne (le Carnaval), soit par l’évasion vers un espace extérieur (le renoncement). Cette deuxième solution offre l’avantage, pour Saint-Simon, de ne pas remettre en cause la structure hiérarchique, puisqu’elle revient à se placer en-dehors. Saint-Simon, qui éprouve de la sympathie pour beaucoup de jansénistes – mais non pour la doctrine elle-même – est beaucoup plus proche d’une théologie de la grâce que de la théologie du mérite défendue par les Jésuites. On voit bien comment une société nobiliaire ne peut que se méfier du mérite individuel. Selon Le Roy Ladurie, Saint-Simon a lu trois auteurs : le protestant Abbadie, le janséniste Quesnel et l’oratorien Duguet, tous trois apologistes du détachement et du renoncement.

C’est ainsi que son quasi-jansénisme, son apologie du renoncement l’inscrivent bien malgré lui dans une tradition qui mènera ultérieurement au rejet-même de cette société des rangs : les Jacobins, selon l’auteur, seraient les héritiers du jansénisme.

1. Saint-Simon ou le système de la Cour, Paris, 1997.



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