Il y a quelque chose d’implacable dans l’extrême simplicité de ce court texte de Jaccottet (1). Il est d’une écriture tendue et ramassée. Ce qui frappe aussitôt, ce sont les virgules qui hachent les vers brefs de la deuxième strophe (4/6/6/4) et rompent ainsi avec les enjambements et le flux continu de la première phrase (6/10/8). À l’image convenue de la succession des âges dans la douceur d’un temps qui s’étire (« très vieille », « un autre temps ») se substitue celle, terrible, de la Parque : ce n’est pas à la mort de l’aïeule que l’enfant est confronté, mais, d’emblée, à la sienne, à peine sa vie commencée. Éternité de la mort et fragilité du vivant, brutalité de l’image symbolique et de la chute, amenée comme un ajout inattendu et nécessaire (« et les ciseaux »), dans une phrase sans verbe et d’autant plus violente. Tout est comme bousculé et raccourci : court-circuit entre l’enfance et la mort ; les trois Parques sont réduites à une seule : le fil encore en pelote est déjà prêt à être tranché.
Le poème est construit en chiasme : au centre sont regroupés les compléments circonstanciels, ce qui isole et détache les deux derniers vers : l’alliance du concret et de l’abstrait (« la laine de sa vie ») permet le passage au symbole, avant le terrible rejet final. On rejoint les pages les plus sombres de Jaccottet (Les Cormorans), celles qui révèlent l’affleurement du noir et de la mort dans le réel le plus serein. Est-il légitime de voir dans ces vers des échos ronsardiens (« La Parque t’a tuée » ; « les roses de la vie ») ? Mais un Ronsard sec et gratté jusqu’à l’os, sans même la consolation éphémère du plaisir épicurien.