Micrologies

Héliodore et la laïcité…


L’édition d’Héliodore dans la Collection des Universités de France remonte aux années 1930. Elle a été confiée, pour l’établissement du texte, à deux savants britanniques, R. M. Rattenbury et le Révérend T. W. Lumb. La traduction, elle, est due au Français J. Maillon. D’où une « Introduction » anglaise, suivie d’une « Préface du traducteur », française. On peut noter quelques notables différences d’appréciation entre ces deux textes : si le second se montre fort réservé (il trouve « sujet à caution » les témoignages qui font d’Héliodore un évêque, comme celui de Photius, le patriarche et bibliographe byzantin du IXe siècle), le premier fait la part belle aux traditions qui rattachent Héliodore au christianisme (« révérendise » oblige) : « Si l’auteur des Éthiopiques était un païen dévot, sa piété même pouvait le conduire à la conversion ; en effet, ce sont précisément ceux qui avaient un sentiment religieux développé qui devaient être plus facilement attirés vers la foi nouvelle » (t. I, p. XII). « Il n’est pas impossible qu’il se soit ultérieurement converti au christianisme, et qu’il ait fini par devenir évêque de Trikka en Thessalie. En cette qualité, son action la plus remarquable fut l’introduction dans son diocèse du célibat ecclésiastique » (ibid.  p. XV). On peut remarquer le passage d’un subjonctif hypothétique à un passé simple très affirmatif. De telles assertions engagent bien sûr l’évaluation qui est faite du roman.

Ces remarques (et sans doute le titre de Révérend) ont eu l’effet de susciter l’ire d’un précédent possesseur de mon Budé, qui a parsemé cet exemplaire d’annotations vengeresses : « boy-scout bigot de Cambridge » ; « christianisme, crétinisme du XXe siècle » ; « catalogue des postulats stupides des critiques chrétiens » ; « régression des chrétiens vers un Moyen Âge intellectuel » ; « mafia de commentateurs débiles qui érigent en absolu leurs propres goûts et croyances », etc. : c’est amusant, ce n’est pas faux, mais les arguments font défaut : on est dans la mauvaise foi la plus sympathique.

Le plus plaisant est que cette fureur laïcarde s’applique aussi au texte du roman, soit pour souligner l’ouverture culturelle du monde antique (« lumières du paganisme » ; « tolérance et universalité du paganisme ») ; soit au contraire pour condamner, dans l’histoire racontée, telle manipulation initiée par des prêtres (« torture du texte ; trituration du sens par une caste de mandarins » ; « exploitation de la crédulité »).

C’est opposer mesquinement un parti-pris à d’autres partis-pris. N’est pas Voltaire qui veut, certes. Mais déployer tant de passion dans la lecture d’un texte antique, il y a là, malgré tout, quelque chose de salubre.



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