Micrologies

La Vie et la mort du Roi Jean


Shakespeare, dans La Vie et la mort du Roi Jean, donne une version épurée, presque abstraite, de l’affrontement entre Jean sans Terre et Philippe Auguste, au début du XIIIe siècle. Le jeu diplomatique, les alliances, les conflits sont simplifiés, grattés jusqu’à l’os, avec une sécheresse qui met crûment en lumière le cynisme des principaux acteurs.

Après la mort de Richard Cœur de Lion, son frère Jean usurpe le trône aux dépens de leur jeune neveu Arthur, héritier légitime dont le roi de France soutient le droit. Les deux rois s’affrontent sous les murs d’Angers. L’issue du combat étant trop incertaine, ils préfèrent conclure une alliance : Philippe renonce à soutenir Arthur et Jean donne en mariage sa nièce Blanche (de Castille) au Dauphin Louis (futur Louis VIII). Mais l’intervention du légat du Pape oblige Philippe à reprendre la guerre contre Jean, qui est excommunié. Louis débarque en Angleterre. Indignés par la nouvelle (prématurée) de la mort d’Arthur, les nobles anglais se rallient à lui. Jean aux abois fait sa paix avec l’Église ; les nobles anglais, qui se défient du Dauphin, le rejoignent : malgré la bataille perdue par les Anglais et la mort de Jean, empoisonné, Louis ne deviendra pas roi d’Angleterre.

Dans ces luttes de pouvoir complexes et incohérentes, les arguments juridiques, les principes vertueux sont toujours au service des ambitions, des intérêts les plus cyniques. De ce jeu, les personnages les plus purs sont toujours les victimes. Leurs protestations justes sonnent comme des cris d’hystériques et les mènent à la prison et à la mort, comme Arthur, ou aux portes de la folie comme sa mère Constance.

L’intrigue paraît décousue, parce qu’elle abonde en retournements injustifiés, en tout cas mal motivés : renversements d’alliance entre la France et l’Angleterre, trahison puis retour à l’ordre légitime des barons anglais, subite pitié des bourreaux chargés d’éliminer Arthur mais qui l'épargnent ; mort de celui-ci dans une tentative d’évasion. En fait, ce sont ces retournements qui font la substance même de la pièce : instabilité des choses humaines, calculs cyniques des acteurs de l’histoire, le tout accéléré par la concentration de la durée historique dans le drame. Un personnage héroïque sauve l’honneur de son pays : Faulconbridge, un bâtard de Richard Cœur de Lion : un héros patriotique, comme Talbot dans Henry VI.



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