L’Antiquité tardive est très sensible à l’éclat des couleurs, celles des pierres précieuses ou des mosaïques. Ainsi la Psychomachie de Prudence contient-elle la description d’un temple bâti par la Foi : on y trouve employées une quinzaine de matières précieuses, dont sont loués la couleur et l’éclat. On est dans l’hyperbole allégorique (les colonnes sont tout entières de cristal, etc.), mais l’effet lumineux est puissant, analogue à celui que produisent les tesselles des mosaïques de Ravenne :
Ou encore ces deux vers :
Voilà qui évoque la vaste prairie de mosaïque de Saint-Apollinaire in Classe à Ravenne – qui n’existait pas encore au temps de Prudence. En tout cas, on trouve dans ces deux passages une vraie sensibilité poétique, qui met en mouvement la lumière et lui donne comme une densité aquatique.
Dans la littérature chrétienne, un tel éclat a souvent une valeur religieuse, comme dans cet autre passage de Prudence qui évoque la victoire de Constantin sur l'usurpateur Maxence au Pont Milvius, en 312 :
Toutefois, l'éclat de l'or et des pierres peut être aussi l'éclat mauvais de la richesse, comme dans cet autre passage :
On trouve une explication socio-économique de cette esthétique de la couleur chez le grand historien de l'Antiquité tardive, Peter Brown, (5). Le IVe siècle est en effet selon lui « l’âge de l’or », où la richesse des classes supérieures s’exhibe dans la décoration des villas aussi bien que dans les couleurs du costume. Cette « voix de la richesse » s’exprime par le splendor, le « pur éclat » des maisons romaines, dans une « explosion de couleurs ». Les mosaïques ont survécu (comme dans la villa sicilienne de Piazza Armerina), mais « la vraie richesse d’une demeure de la classe supérieure résidait dans les marbres multicolores dont ses murs étaient recouverts ». Ces villas luxueuses « suggèrent le besoin d’une compétition d’une vaste classe de propriétaires » : on a affaire non seulement à « un art des riches, mais à un art réalisé par des riches soucieux d’exhiber […] ce que c’est d’être riche. [...] Seules les églises de la période romaine tardive qui ont survécu intactes […] peuvent donner aujourd’hui un aperçu de l’opulent embrasement de couleurs qui, du sol au plafond, tapissait les murs des riches. » Sans doute en trouve-t-on un équivalent dans les ekphraseis de Prudence.