Micrologies

À tire-larigot


Le terme « larigot » ne s’emploie plus guère, je crois, que pour désigner un jeu d’orgue, d’un registre plutôt aigu. Tirer le larigot, serait-ce alors faire jouer le tirant qui met en action ces tuyaux ? Vérifions… Pour le Robert, le larigot est bien une variété de « nasard », un jeu de « mutation » comportant plusieurs tuyaux dont certains émettent des harmoniques. Selon le Littré, ce jeu d’orgue imite une petite flûte ou flageolet du même nom. Le rapport avec l’expression « à tire-larigot », qui s’emploie uniquement pour la boisson, n’y est pas précisé. Le Dictionnaire historique de Rey cite un refrain médiéval (1403) : « Larigot va, Larigot Mare, tu ne m’aimes mie ». Pour apaiser la soif inextinguible de Gargantua nouveau-né, Rabelais rapporte qu’on le faisait boire « à tyre larigot » (Gargantua, chap. 6).

Comme souvent, l’article du Dictionnaire de Furetière (1690) est fort pittoresque, au point qu’il vaut la peine de le citer tout du long :

On dit proverbialement, Boire en tire larigot, pour dire, Boire beaucoup. Quelques-uns tirent l’origine de ce proverbe du jeu de l’orgue, à cause qu’il sifle beaucoup, et que les buveurs appellent souvent sifler, boire beaucoup ; d’autres d’une cloche de Roüen, qui est la seconde en grosseur dans la Cathedrale, qu’on appelle la Rigaud, du nom de celuy qui l’a donnée ; & parce que les Sonneurs ont beaucoup de peine à la sonner, on dit qu’au sortir de là ils vont boire en tire-la-Rigault. D’autres le dérivent d’une petite fluste d’yvoire qui rend un son fort haut, dans laquelle il faut souffler à perte d’haleine : & parce que quand on veut boire jusqu’à la derniere goutte, il faut lever le coude, le menton & le verre, comme ceux qui flustent avec un larigot, on a appelé cette manière, Boire à tire larigot ; ce qu’on dit autrement joüer de la fluste de l’Allemand, par comparaison à ces verres longs & estroits dont les Allemands se servent dans leurs desbauches, qu’ils nomment flustes. D’autres disent que ce mot vient des Gots, qui aiant tué leur Chef Alaric, et mis sa teste au bout d’une pique, beuvoient par derision à sa santé en proferant ces mots, A ti Alaric Got, d’où on a dit par corruption à tire-larigot. Borel le dérive d’un vieux mot François larigaude, qu’il dit signifier le gosier, & estre dérivé de larinx.

Après tant de poésie étymologique, on n’a plus besoin ni envie de connaître la vérité. On peut apprécier l’explication « oulipienne » par Alaric, qui dans sa naïveté suppose que les Goths parlaient déjà (un mauvais) français. Cependant, par pur esprit de clocher (c’est le cas de le dire), on adoptera ici la version rouennaise.



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