L’Oulipien Jacques Jouet a publié des « Poèmes de métro » (1) ; genre frivole et parisien que ces textes dont chaque vers est écrit entre deux stations… Frivole ? On y trouve, en même temps que la gageure plaisante de la contrainte, quelques énoncés de poétique qui touchent à l’essentiel :
Parler pour des prunes, en toute gratuité ; mais aussi parler pour les prunes (en faveur de, à la place de : c’est le « parti-pris des choses » de Ponge) ; mais encore : en traduire la saveur. Élégance d’un énoncé simple qui se déploie dans de multiples directions.
Et justement reviennent à l’esprit des prunes de poésie, celles de Bonnefoy dans L’Arrière-pays (2), prunes de l’enfance dans le jardin des grands-parents où le garçon arrive pour l’été :
Bonnefoy prend en effet « à bras-le-corps l’énigme de la traduction » de la saveur du fruit, mais comme une énigme justement, sans l’aplatir ni la résoudre. La « saveur » est maintenue à distance par le double écart temporel, du poète vers l’enfant qu’il était, mais aussi, dans l’enfance même, du début de l’été vers la promesse des fruits mûrs : rétrospection, puis anticipation ; souvenir d’une promesse de saveur… Interdite par les « guêpes errantes », la saveur est pourtant dépassée dans une saisie de « l’être » – mais partielle, elle aussi, puisque les prunes sont seulement « fendues », entrouvertes, et que dans « évidentes », on ne peut qu’entendre aussi « évidées », « vides ».
Détours, approximations successives, de plus en plus fines, pour cerner cette « présence » du fruit, offerte et inaccessible, à laquelle on ne peut adhérer que sur le mode du « presque ».