Micrologies

La Ronde de nuit


Les portraits collectifs de membres de guildes et d’associations, commandes importantes, font vivre les peintres hollandais du XVIIe siècle, comme Rembrandt ou Frans Hals. C’est cette dimension sociale de l'art qu’explore Peter Greenaway dans La Ronde de nuit, un film aussi complexe que sombre : complexe, parce qu’il est bavard, avec un montage très rapide et de multiples personnages (ceux du tableau) qu’on peine à identifier au passage. La mise en scène est très théâtrale, avec des scènes de groupe dans de grands espaces d’intérieur qui n’ont rien à voir avec ce qu’on peut connaître des maisons hollandaises (Vermeer, De Hooch).

Pour la noirceur, on n’est pas très loin de Meurtre dans un jardin anglais, film antérieur du même réalisateur : on y voit aussi un artiste manipulé par des hommes de pouvoir qu’il croit pourtant dominer à travers la représentation qu’il en fait. Rembrandt a compris qu’un assassinat avait été commis dans la compagnie de miliciens qu’il peint et il en montre les indices dans sa toile. Mais l’image est aussitôt récupérée comme icône : elle est portée aux nues par les membres de la guilde qui désamorcent ainsi sa valeur accusatrice, tout en s’employant à ruiner la carrière du peintre en sous-main. Il n’est nullement question de travail pictural, d’analyse esthétique : on parle de contrats, de ressemblance des portraits, de mise en valeur des commanditaires sur la toile. Désacralisation de l’art, simple instrument de distinction sociale, pour les commanditaires comme pour le peintre, en quête de légitimation et d’argent.

Au centre de ce jeu, Rembrandt, montré comme un homme honnête dans un monde féroce où les vices des puissants frappent surtout les plus faibles, telles les femmes, humiliées, violées, prostituées, détruites. Seule l’image (peinte ou filmée), avec ses somptueux éclairages, redonne force et dignité à cet univers crépusculaire.

La Ronde de nuit
Rembrandt, La Ronde de nuit, via Wikimedia Commons.


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