Dans l’exposition parisienne sur la Mélancolie de 2005, on pouvait voir une étrange gravure sur bois d’après un dessin de Caspar David Friedrich, Femme au corbeau au bord d’un précipice. Malgré la maladresse de la gravure, l’image est très prenante : un arrière-plan de montagnes, une femme debout sur un rocher, regardant vers nous ; elle est au bord d’un précipice où semble déjà l’entraîner le mouvement de bascule de trois arbres desséchés ou morts. Présage sinistre, un corbeau est perché près d’elle sur une branche morte, tandis qu’un autre plane un peu en-dessous.
Cette œuvre ne suscite pas tant le vertige (l’abime est peu visible) qu’une impression d’étrangeté fantastique : la figure féminine paraît en continuité avec les éléments végétaux : une branche morte semble remplacer son bras droit, une autre paraît continuer sa main gauche, un tronc sort de dessous ses pieds, tel rameau épouse le pli du vêtement, les mèches de ses cheveux se tordent comme les branches sèches. La femme semble en métamorphose, telle une nouvelle Daphné, ou plutôt en voie d’effacement.
Quant à la Femme avec une toile d’araignée, du même artiste, c’est le bas de son corps qui semble se fondre dans la végétation. Derrière elle, une branche-serpent semble vouloir tenter cette autre Ève. La toile d’araignée suggère peut-être le piège, la menace, mais surtout la même fugacité, la même fragilité de la vie que dans l’autre gravure. La mélancolie, ce n’est pas ici la mort elle-même, malgré l’insistance des symboles, mais cet évanouissement possible de l’humain dans un paysage qui ne lui offre pour toute issue que le reflet de son état d’âme.