À la fin d’Un roi sans divertissement, le roman de Giono, le héros Langlois se suicide en « fumant » un bâton de dynamite au lieu de son cigare habituel :
Cette scène se passe en 1848. Or la dynamite, comme on sait, fut inventée par Alfred Nobel en 1866… Ce petit jeu de « cherchez l’erreur » n’aurait aucun intérêt si ce genre d’inexactitudes n’était pas justement trop fréquent chez Giono pour qu’on puisse parler d’erreurs. D'ailleurs, dans Un roi sans divertissement, la chronologie est de toute façon très incertaine. Autre exemple d'une telle imprécision : au tout début du Hussard sur le toit, le Rhône qui devrait se trouver à l’ouest est placé à l’est (1).
Ce ne sont pas là des scories, mais des « négligences » signifiantes : elles minent toute prétention à une lecture « réaliste », revendiquent pour le texte la liberté de la fiction ; il importe peu qu’à la marge elles effrangent l’effet de réel. L’incohérence, ou plutôt les cohérences successives sont un des signes de la liberté du conteur : dans le conte, la croyance vient de la « performance », de la parole vivante, orale ou écrite, et non de la solidité du référent.
Mais faut-il même parler de négligence ? Les biographes nous apprennent que des membres de la famille de Giono travaillaient comme artificiers sur des chantiers. Ignorait-il vraiment l’époque de l’invention de la dynamite ? L’anachronisme n’est-il pas délibéré ? En même temps que Langlois, ce serait alors sa fiction que Giono dynamiterait in fine en détruisant la possibilité même de l’illusion réaliste. Le feu d’artifice final mêlerait ainsi superbement la tragédie et le jeu de l’écriture.
Ajoutons que dans Django Unchained, qui se passe en 1858, Quentin Tarantino use et abuse de la dynamite, toujours aussi peu inventée. Il est vrai qu’on ne sera pas trop exigeant avec lui pour ce qui est de l’illusion réaliste.