Micrologies

Cubisme


Claude Simon (1) reprend l’histoire du cubisme pictural dans la perspective de son propre travail d’écriture : d’abord une période « symphonique » , presque monochrome (tons terreux) avec horizontales et obliques qui ne reproduisent jamais « les contours entiers des objets ». Beaucoup d’instruments de musique ; un cadre souvent ovale dont les lignes du tableau n’atteignent jamais les bords : l’œuvre est fermée sur elle-même : c’est le « cubisme analytique ».



Juan Gris, Cruche, bouteille et verre, 1912, via Wikimedia Commons.

Ensuite, avec le retour à la couleur, on revient à une facture plus artisanale (collages) : c’est le « cubisme synthétique » qui supprime le fond neutre et « colle » les fragments sans solution de continuité. On a ici la restitution de « cette perception éclatée et confuse que nous avons des choses, des objets dont l’assemblage, l’association va maintenant être commandée d’une part par la fidélité à l’émotion ressentie et d’autre part par les valeurs proprement picturales (rapports de couleurs, de formes) qui commandent la composition d’une peinture ».



Juan Gris, Fantomas, 1915, via Wikimedia Commons.

Cette révolution picturale, selon Simon, est à rapprocher de celle que Joyce et Proust accomplissent dans le roman à la même époque : « prise en compte seulement des points forts (d’une scène, d’une histoire), non dissimulation des vides ou des trous, puis regroupement de ces fragments selon une combinatoire aboutissant à une mise en rapport directe ». Les éléments ne sont plus articulés en fonction d’une causalité, « mais en fonction de leurs qualités, c’est-à-dire les harmoniques, les dissonances, passages, dérapages, contrastes, etc.) ».

Toutes ces analyses inscrivent le propre travail de Claude Simon dans une généalogie solidement réfléchie qui découle à la fois des mutations du roman et du travail des peintres : ce double mouvement, à la fois de fragmentation puis de recombinaison d’ordre esthétique, est celui qu’il n’a cessé de radicaliser dans son écriture, y compris visuellement avec ces dispositifs typographiques en colonnes ou en oblique qui lui permettent de juxtaposer sur la page des textes distincts (Le Jardin des Plantes

1. Quatre Conférences, Paris, 2012, pp. 57-60.



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