Guidés par leur bonne fortune, deux équipages de navigateurs français, conduits par l’illustre Bougainville, avaient quitté depuis sept mois les côtes de l’Amérique. Ils étaient à bout, épuisés de faim et de soif. Ils avaient essuyé tous les hasards de la colère de Neptune, leurs forces étaient aussi défaillantes que leur moral était confiant. Enfin, ils ont abordé dans cette île, riche de tout ce qu’il faut à une vie heureuse : de fait et de nom, elle mérite d’être qualifiée d’utopie. C’est là sans doute que Thémis, Astrée, Vénus, et le plus précieux de tous les biens, la Liberté, loin des vices et des discordes du reste du monde, ont établi leur séjour, éternel et inaltérable. C’est là que règnent entre les habitants une paix inviolée et une sainte fraternité ; on n’y sent d’autre autorité que celle des pères. C’est là qu’on remplit scrupuleusement ses devoirs envers les étrangers, (même ingrats !) : bonne foi, hospitalité, profusion généreuse de toutes les ressources du sol. Ce témoignage de gratitude et d’admiration, Philibert Commerson, de Châtillon, l’a gravé avec empressement sur des tablettes de plomb qu’il a semées çà et là dans l’île. Il est docteur en médecine et naturaliste, mandaté par le Roi très-chrétien. D’un peuple et d’une nature si bienveillants, il reste l’adorateur pour toujours. Le 13 avril 1768.