Micrologies

Acédie et monachisme


Le vieux terme d’ « acédie » , qui ne figure pas dans les dictionnaires courants, provient du grec : ἀκηδία, c’est l’indifférence, la négligence qui distrait le sujet à la fois du monde extérieur et de l’accomplissement de ses devoirs, une sorte d’apathie, en somme. Le terme apparaît dans l’Antiquité, mais rarement. Son contraire est l’« eutrapélie » , flexibilité d’une nature enjouée. Mais c’est avec le christianisme que le mot trouve vraiment son sens et son usage.

On en trouve un savant historique sous la plume d’Yves Hersant, dans le catalogue de la mémorable exposition parisienne sur la mélancolie (1) : de fait, l’acédie apparaît comme une forme particulière de mélancolie, observée dans les milieux monastiques aux premiers temps du christianisme, chez les cénobites et encore plus chez les anachorètes. C’est une maladie de l’âme, mais en même temps un péché (qui sera laïcisé en « paresse » dans les listes ultérieures de péchés capitaux). Les symptômes en sont l’ennui, la tristesse, l’indifférence ; elle se traduit par l’impossibilité de se concentrer, de rester appliqué à l’étude ou à la prière. Au cours du Moyen Âge, son champ s’élargit à l’ensemble du monde religieux, puis laïc. Elle se rapproche de la mélancolie : l’acédie est un vice, la mélancolie un désordre des humeurs, mais l’une et l’autre ont les mêmes effets : deux traditions séparées, la tentation diabolique pour la première et l’influence néfaste de Saturne pour la seconde, vont finir par se confondre. Mais l’une et l’autre peuvent avoir aussi un effet positif : ainsi mise à l’épreuve, l’âme peut trouver en elle l’élan pour s’élever à un niveau supérieur.

L’image même de l’acédie, on la trouve dans la tentation de Saint Antoine : on voit toujours le saint replié sur lui-même, inattentif aux prodiges qui l’entourent. Parce qu’il est plongé dans la prière ? Oui, mais c’est aussi qu’il est en proie à l’acédie, état propice aux visions de toute sorte ; c’est alors son péché qui est la source des tentations qui l’assaillent.

1. « L’Acédie et ses enfants » , in Mélancolie. Génie et folie en Occident, dir. Jean Clair, Paris, 2005, pp. 54-59.




Jérôme Bosch (attribué à), La Tentation de Saint-Antoine via Wikimedia Commons.


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