C’est ainsi que Prudence, dans la Psychomachie, évoque le cortège allégorique de la Cupidité. Cette abondance de personnifications n’est pas rare dans l’Antiquité. La remarquable introduction de M. Lavarenne à l’édition de l’œuvre dans la C.U.F. contient d’ailleurs toute une histoire de l’allégorie avant Prudence et après lui. Mais si l’on en juge par les citations qu’il donne, les poètes latins antérieurs accompagnent leurs personnifications de qualificatifs qui les caractérisent, et ils les relient par des conjonctions. C’est le cas par exemple chez Virgile (Énéide, VI, 273 sqq.) :
Ce qui est particulier à ce passage de Prudence, c’est la sèche et efficace énumération des personnifications, en asyndète. Le seul exemple analogue que donne Lavarenne provient de l’Œdipe de Sénèque (v.652) :
Dans l’abondante postérité de Prudence, surtout médiévale, Lavarenne évoque Hugo (« La Déroute géante à la face effarée » ), mais il aurait pu citer aussi Baudelaire, non pas seulement pour l’allégorie mais aussi pour ce procédé de l’énumération en asyndète :
C’est le début même du premier poème des Fleurs du mal (« Au lecteur » ). Plus loin dans le même texte on trouve :
ou encore :
Pensons encore à « Chant d’automne » :
Souvenir chez le poète de l’allégorie latine ? Le traducteur de la C.U.F. n’était peut-être pas loin de le penser, lui qui, pour restituer le latin de Prudence emploie ici, avec un effet de boucle, le terme baudelairien de « lésine » . Si tel était le cas, Baudelaire aurait retenu de la poésie latine ce qui en elle est le plus sobre et aussi le plus âpre.