Micrologies

Grands hommes


Dans une préface à Plutarque (1), François Hartog étudie la réception de l’œuvre du biographe à l’époque moderne. Les Vies de Plutarque, rappelle-t-il relèvent plus de la philosophie morale que de l’histoire : elles se veulent préparation à l’action. Les parallèles entre Grecs et Romains sont l’occasion d’une comparaison, d’un jugement ; les Vies proposent des modèles, à suivre ou à éviter. Le titre général qui leur convient le mieux est celui de Vies parallèles.

C’est avec la traduction de Jacques Amyot (publiée en 1559) qu’apparaît le titre Vies des hommes illustres. Par l’ajout de cette épithète, « Plutarque devient non seulement un inspirateur, mais aussi presque un contemporain des hommes de la Renaissance : il leur parle de ce qui les concerne. » (p. 117). Se multiplient alors les portraits, médailles et bustes, qui correspondent à un désir d’imitation. « Que les Vies des hommes illustres soient de l’histoire, personne n’en doute alors » (2) : non pas l’histoire qui rapporte des événements, mais celle qui est soucieuse de « conseils », selon le terme d’ Amyot. Même si Montaigne, tout en célébrant Plutarque remet en cause toute exemplarité normative, le modèle de l’homme illustre fonctionne encore au XVIIe siècle, au profit des Grands soucieux de leur gloire, et du monarque absolu.

Au temps des Lumières, avec Voltaire notamment, l’intérêt se déplace : dans Le Siècle de Louis XIV, dit-il, « on veut essayer de peindre à la postérité, non les actions d’un seul homme, mais l’esprit des hommes dans le siècle le plus éclairé qui fut jamais » (3). C’est un changement de modèle : on passe de l’homme illustre au « grand homme », selon la définition de Voltaire : « J’appelle grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l’utile ou dans l’agréable. Les saccageurs de provinces ne sont que héros » (4). La valeur exemplaire de Plutarque ne disparaît pas, mais elle change de nature : l’auteur grec devient une école de morale, privée autant que publique. Si Napoléon semble incarner un temps le grand homme, le XIXe siècle, à travers lui, va souligner les méfaits de l’imitation des héros antiques. Chez Balzac, l’« Illustre Gaudissart » ou le « Grand homme de province à Paris » (Rubempré) prennent une valeur ironique. Avec Balzac, « le type fait son entrée en littérature » (5). Alors que l’époque moderne se tourne volontiers, vers la vie d’anonymes, les grands hommes « accoucheurs de l’histoire » s’effacent. La figure actuelle est la star, « emportée par le temps » : « la star vient uniquement du présent et s’y consume » (6). On reconnaît ici le « présentisme », notre actuel « régime d’historicité » tel que l’a défini Hartog.

On s’en veut de résumer ainsi à grands traits un texte d’une grande richesse, auquel on ne peut que recommander au lecteur de se reporter.

1. « Un Ancien chez les Modernes, Plutarque », [2001], repris dans Anciens, Modernes, Sauvages, Paris, 2005, p. 99-147.
2. Ibid. p. 119.
3. Cité par Hartog, op. cit. p. 123.
4. Ibid. p. 124.
5. Ibid. p. 133.
6. Ibid. p. 144.



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