Micrologies

Description et narration


Dans ses Quatre Conférences, (1), Claude Simon construit à plusieurs reprises une histoire de la forme romanesque qui ferait passer peu à peu de la narration à la description. Le roman, à l’origine, serait parti d’un principe didactique soutenu par la narration (enchaînement des causes et des effets), les descriptions n’apparaissant qu’à l’arrière-plan, pour donner de la crédibilité au récit. Ce serait encore le cas chez Balzac. Mais le développement même du réalisme aurait créé un conflit entre narration et description : la langue, au lieu d’être un véhicule qui « exprime » , serait devenue productrice structurelle de sens (au pluriel).

L’hypothèse est séduisante, et l’on comprend aussi qu’il s’agit d’un plaidoyer pro domo. Mais on doit se méfier aussi de toute vision téléologique de la littérature, qui expliquerait son évolution par son aboutissement actuel et provisoire. De plus, cet avènement de l’écriture pure à travers la description semble déjà légèrement désuet, avec un parfum des années 1970.

Et encore ceci : la narrativité n’est-elle pas aussi en tant que telle la source d’un plaisir autonome d’écriture et de lecture, dans la mesure même où bien loin d’être toujours l’expression d’un « principe didactique » elle se détache souvent des arrière-plans idéologiques qui la fondent ? On pourrait en trouver l’exemple dans les Métamorphoses d’Apulée, dont les péripéties valent bien mieux que le plat dénouement religieux qui les couronne. C’est aussi le plaisir de certaines lectures d’enfance (Nathalie Sarraute lisant Rocambole). Certes, Claude Simon a raison de remarquer que dans « le roman de délassement et d’aventures dont les héros triomphent d’une suite de difficultés accumulées, qu’elles soient amoureuses ou autres, il faut observer que la morale triomphe encore » (2), mais cette morale à deux sous qui l’emporte in extremis fait-elle le poids face au tourbillon d’émotions qui entraîne le lecteur ?

1. Paris, 2012 ; voir notamment pp. 45-48.
2. ibid.



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