
Dans le De clementia, traité moral et politique sur le bon gouvernement destiné au jeune Néron, Sénèque ne se montre pas tendre avec la jeunesse de son prédécesseur Auguste, prince réputé pour sa clémence, mais dont les débuts furent marqués, on le sait, par le cynisme le plus brutal.
Ou encore, un peu plus loin :
Paul Veyne note : « La liberté de parole est ici extrême : Sénèque ose un « dire vrai », pour prouver par sa franchise que la révolution néronienne existe et pour forcer la main au jeune prince (1). » De fait, ces remarques sont prises dans un double mouvement rhétorique : d’une part, elles encadrent l’épisode célèbre de la « clémence d’Auguste » mis plus tard sur le théâtre par Corneille, où l’on voit l’empereur pardonner au conspirateur Cinna. Il s’agit de faire valoir, par opposition avec les errements de sa jeunesse, le sage revirement qui fut celui du prince dans son âge mûr et sa vieillesse. D’autre part, la figure d’Auguste est mise en balance avec celle de Néron ; deux types de clémence s’opposent en effet selon Sénèque : celle d’Auguste, tardive et acquise, celle prêtée à Néron, spontanée et naturelle : Haec est, Caesar, clementia uera, quam tu praestas, quae non saeuitiae paenitentia coepit, nullam habere maculam, numquam ciuilem sanguinem fudisse (I, 11, 2). « La clémence véritable, ô princes, c’est celle dont tu fais preuve, qui n’a point inauguré une vie sans tache par le remords des violences commises, celle qui consiste à n’avoir jamais versé le sang des citoyens. » Par de telles affirmations, Sénèque teste en acte la clémence de Néron, au risque de s’attirer sa colère.
Donatien Grau montre qu’Auguste est présenté par Sénèque à la fois comme modèle à suivre (la clémence est un motif politique augustéen) et comme un modèle dépassable (2) : le pardon d’Auguste est politique, alors que la clémence de Néron est naturelle. Sénèque « use donc du motif politique de la clémence, et le retourne au-delà d’Auguste lui-même pour en faire une vertu plus humaine que politique. » On sait avec quel succès, s’agissant de Néron...