Micrologies

Suétone et Néron


En 2014, Florence Dupont animait à Rouen une « masterclass » autour de la Vie de Néron de Suétone, en compagnie de la chercheuse Adeline Adam. Le projet de leurs interventions était double : définir le genre de la Vita ; en cerner la finalité, dans le cas emblématique de la Vie de Néron. L’exposé initial insistait sur la spécificité du genre de la Vie, distinct, selon F. Dupont, à la fois de celui de l’histoire et de celui de la biographie ; sa pragmatique propre le détache de tout contexte oratoire, même s’il recourt à la rhétorique de l’éloge et du blâme : les Vies étaient probablement des œuvres de divertissement, réservées à l’otium : de la littérature de banquet.

La construction de la Vie de Néron, comme celle des autres textes de Suétone, se fait par « species », c’est-à dire par catégories thématiques qui ne recoupent pas la division arbitraire en chapitres qui est celle de nos éditions : cibus (alimentation), pudicitia (pureté des mœurs), etc. La composition d’ensemble est de type annulaire, autour d’un climax autour duquel se répartissent les deux parties de l’œuvre. Il s’agit ici des chapitres XXVII-XXIX où sont évoqués les excès sexuels de Néron. Autour de ce point focal les mêmes species peuvent être reprises, avant et après, d’abord sous l’angle des uirtutes (vertus) puis sous celui des uitia (vices). Par exemple, au chapitre IX, Suétone rappelle le respect dont Néron entourait sa mère Agrippine, avant de mentionner plus loin les rumeurs d’une liaison incestueuse entre eux (ch. XXVIII).

S’il fallait chercher une problématique commune aux Vies de Suétone, ce serait, d’après les intervenantes, celle de la définition du princeps (de l’empereur) : qu’est-ce que ce personnage étrange récemment apparu ? Peut-on être un prince sans être un tyran ? Le tyran peut-il avoir une uirtus (valeur morale), sachant que ce terme est en proximité sémantique avec uir, l’homme ? C’est dans le cadre de ces interrogations qu’interviendraient les chapitres sur le genre (XXVIII-XXIX) dans lesquels il ne faudrait pas lire la condamnation morale de pratiques sexuelles mais une réflexion sur le statut du uir. Ainsi, Néron se dégrade en tant que uir par le stuprum (offenses faites aux ingenui, hommes de naissance libre, aux nuptae, femmes mariées, à une Vestale), mais aussi par l’avilissement de sa propre pudicitia ; la transgression ne réside pas alors dans les « débauches » de Néron, mais dans l’exhibition publique de ce qui est admis dans la vie privée.



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