Micrologies

Augustin et Pélage


La querelle théologique qui mit aux prises, au tournant du Ve siècle ap. J.-C., le moine Pélage et ses adversaires « orthodoxes », dont Augustin, tournait autour des questions du péché originel, de la grâce et du libre arbitre. Elle a eu de nombreuses répercussions au cours des siècles dans l’Église catholique, les condamnations successives du pélagianisme ayant figé des positions théologiques à l’origine plus ouvertes. Mais Pierre Vesperini, y voit aussi une rupture majeure dans l’histoire de la philosophie (1).

Selon lui, en effet, la nouveauté qui distingue le christianisme de la philosophie antique, c’est le statut de la vérité. Les chrétiens, revendiquent de détenir la vérité philosophique, vera philosophia, mais cette vérité est radicalement différente de celle des philosophies antiques, toujours soumises à la discussion : en effet, « elle n’est pas une vérité qui se prouve, qui se démontre. […] Le fondement ultime de la vérité [que les chrétiens] proposent (et imposent) ne réside pas dans la démonstration mais dans la foi, et c’est en cela que le christianisme ne se veut pas seulement « vraie philosophie », mais philosophie d’un autre ordre, d’un ordre supérieur ». La théologie se place alors sur un terrain qui n’est plus celui des dialecticiens païens. On est là à l’origine de la distinction entre philosophie et théologie, « deux savoirs qui, dans l’Antiquité, y compris dans l’Antiquité chrétienne, ne sont pas distincts » (c’est là l’une des thèses majeures du livre de Vesperini). C’est, ajoute-t-il, le sens de la formule de Tertullien, credibile est, quia ineptum est : « c’est croyable, parce que c’est absurde ». « L’absurde, qui échappe par définition à la démonstration, à l’argumentation, devient un signe du vrai. […] Si [la sophia chrétienne] a évidemment recours aux logoi, elle ne s’y ramène pas, et elle de présente bien avant tout comme « foi » (pistis).

C’est dans ce contexte que Vesperini replace la querelle du pélagianisme : l’idéal de l’éthique ancienne, fondée sur les logoi, était « l’orthopraxie, l’agir correct, par l’homme maître de lui-même ». C’est encore la position de Pélage et de ses disciples, pour qui ce sont les actes qui conduisent au salut. Or pour Augustin, « l’importance des actes justes est sans commune mesure avec l’importance de la foi ». C’est la conséquence du statut nouveau de la foi dans l’économie de la vérité ; c’est aussi dû à la dévaluation parallèle de la condition humaine : « La nature de l’homme est trop corrompue par la Chute pour qu’un homme puisse prétendre faire son salut par ses actes. » « D’un coup, donc, l’homme devient suspect à lui-même. » C’est là pour Vesperini l’acte de décès de la philosophie antique.

1. P. Vesperini, La Philosophie antique. Essai d’histoire, Paris, 2019, p. 286-290.



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