Dans un ouvrage récent, Pierre Brulé, en historien qu’il est, cherche à retrouver dans le personnage de Socrate, tel que l’a construit la tradition, l’Athénien qu’il était, et entreprend d’éclairer l’un par l’autre l’homme et la cité à laquelle il appartenait. Il s’intéresse notamment à la « diète » de Socrate, c’est-à-dire à ses habitudes de vie (1). En l’occurrence, il préfère, au mot de « régime » celui de « diète », calqué sur le grec diaitè : non pas seulement les règles alimentaires, mais l’ensemble de l’hygiène de vie, exercices physiques, sommeil, bain, aphrodisia. C’est avant tout par Xénophon que nous pouvons avoir une idée des pratiques quotidiennes de Socrate :
Ce qui compte dans cette règle de vie, c’est l’importance des exercices physiques, qui contribuent à l’équilibre général de la personne. Brulé relève dans ce passage deux termes antithétiques : huperponein (« se surentraîner ») et ekponein (« s’entraîner juste assez » pour ingérer harmonieusement la nourriture absorbée) : Socrate recommande cette seconde attitude. Cependant une telle modération, dans l’alimentation et dans l’exercice physique est à attribuer, pense-t-il, autant ou plus à l’auteur du texte qu’à Socrate lui-même : « Ce « 10 000 pas par jour » est bien du Xénophon, qui perd rarement de vue sa propre ligne de vie : son juste milieu. » Cette « diète » modérée est celle que médecins et entraîneurs proposent aux athlètes, qui doivent éviter tout régime excessif.
Qu’en est-il pour Socrate lui-même ? « Eh bien, quoiqu’en mineur le programme que « Socrate » se fixe se calque assez bien sur ce modèle [athlétique]. » Témoin cet autre passage des Mémorables :
Mais Pierre Brulé se s’aventure jamais au-delà des limites et des lacunes de sa documentation : si la diète de Socrate était bien celle que décrit Xénophon, « comment expliquer l’éminent bedon des images [de Socrate] ? » Une autre représentation, contradictoire, que nous avons de lui, c’est aussi « la grande évidence de son corps en mouvement. […] Cet homme ne cesse de marcher, on fait de même en sa compagnie. » Que peut-on en conclure ? Rien qui aille au-delà de ces incertitudes. C’est tout le mérite de ce livre que de ne pas chercher à combler les frustrations qu’il suscite : le Socrate historique nous restera toujours largement insaisissable.