À quoi pouvait ressembler la maison de Socrate, fils de sculpteur ? Pour répondre à cette interrogation d’historien, et en l’absence de tout document direct, Pierre Brulé, fidèle au projet qu’il a défini (éclairer la personne de Socrate par ce que l’on sait par ailleurs d’Athènes et des Athéniens – et réciproquement (1)), tire le fil ténu fourni par des restes de maisons de l’époque classique retrouvées près de l’Agora. Dans l’une d’elles, dont la partie dégagée occupe environ 180 m², on a retrouvé des clous et quelques outils dont on a déduit qu’il s’agissait de l’atelier d’un cordonnier ou d’un bourrelier. On y a découvert aussi un tesson de poterie portant le nom de « Simôn ». Or ce Simôn (s’il s’agit bien du même) est loin d’être un inconnu. Ce serait même cet ami de Socrate auquel Diogène Laërce consacre une notice :
Ces dialogues rédigés par Simon, et dont Diogène Laërce cite les titres, auraient donc été « le plus précoce exemple identifiable de ce que sont et seront les Logoi Sôkratikoi » p. 105, ces ouvrages (perdus) qui rassemblaient des propos tenus par Socrate. Xénophon (Mémorables, IV, 2, 1) témoigne aussi de ce que Socrate fréquentait l’atelier d’un « fabricant de brides » situé près de l’Agora.
Euthydème (par ailleurs personnage éponyme d’un dialogue de Platon), est trop jeune pour fréquenter l’Agora, (il appartient à la classe d’âge des neoi, des nouveaux citoyens, que Brulé situe entre 18 et 30 ans (3). Il rêve d’une carrière politique, se rend au plus près de la place publique, réservée aux hommes faits, qui ont seuls accès aux fonctions publiques : la maison de Simon, telle que découverte par l’archéologie, est un emplacement idéal. C’est là que vient aussi Socrate, non seulement pour les beaux yeux d’Euthydème, mais pour y retrouver tout un groupe de jeunes gens, dont Alcibiade ou Phèdre : le « Flore » de Socrate, selon le mot de P. Brulé.
On a pu douter de l’existence même de Simon. Mais, selon Brulé, « c’est une de nos communes erreurs de tenir insuffisamment compte de la profondeur des silences ». Ce que nous ignorons, veut-il dire, est beaucoup plus vaste que ce que nous savons. Comment douter alors de ce coup de projecteur porté par un simple tesson de poterie dans les ténèbres de nos ignorances ? Simon n’est pas le seul penseur dont nous n’aurions gardé que le nom. Artisan et « philosophe », nous tiendrions donc avec lui, si on l’en croit, une sorte de double sociologique de Socrate et peut-être une maison analogue à la sienne...