Micrologies

Poète à Rome


« Qu’était-ce au fond qu’un poète à Rome ? On n’en sait presque rien. » Ce sont les premiers mots de Pierre Vesperini dans l’introduction de son anthologie des poètes latins oubliés, aux derniers siècles de la République (1). Il aborde la question par sa dimension pragmatique : que fait-on, comment vit-on quand on est un poète romain ? Il rappelle tout d’abord que le nom latin du poète (poeta) est grec (poiètès), ce qui signifie « qu’un poète latin ne fait […] que transformer (vertere) de la poésie grecque. […] Quand un poète latin veut écrire, il lui faut du papier et un calame, mais aussi des livres, ceux des poètes grecs qui l’ont précédé (p. LIII-LIV). La poésie latine est ainsi « une littérature savante, donc destinée au commentaire » : le poète est inséparable du grammaticus, du savant spécialisé dans les lettres, capable d’expliquer et de corriger les textes (p. LV).

Pour ce qui est de leur condition sociale, les plus anciens poètes sont souvent pauvres, esclaves, affranchis, immigrés à Rome. D’autant que le poète « n’avait pas à Rome le statut qu’il pouvait espérer dans les monarchies hellénistiques, de pensionnaire du Musée ou de courtisan du roi » (p. LVII). Il est « une figure parmi d’autres au banquet des riches, au même titre que les chanteurs, les cuisiniers ou les musiciens. » (ibid.). Les poètes deviennent ensuite des « professionnels salariés », jusqu’à ce qu’Ennius, au IIe siècle av. J.-C., parvienne à s’imposer comme dicti studiosus (philologos), pourvoyeur de plaisir, mais aussi poète savant et ami des grands. Il leur faut alors des protecteurs dont ils deviennent les clients, comme Horace auprès de Mécène. En tout cas, ajoute P. Vesperini, être poète relève de l’« économiquement irrationnel », tant les récompenses matérielles sont aléatoires, même si le statut est recherché (p. LX). Beaucoup vivotent dans des mansardes, dans la plus grande précarité, produisant toutes sortes de vers pour survivre : « épopées, comédies, tragédies, petits vers érotiques, épigrammes de circonstance... » (p. LXII).

Mais à côté de ces poètes professionnels, on rencontre aussi une seconde catégorie, celle des amateurs, riches chevaliers ou sénateurs disposant de bibliothèques privées, assistés de lettrés grecs, esclaves ou affranchis et qui consacrent leur otium à la poésie. Ils sont eux aussi avides de reconnaissance (p. LXII).

Ces deux types de poètes du temps de la République disparaissent, les uns comme les autres, affirme P. Vesperini, à l’orée de l’Empire, quand Auguste suscite une littérature nouvelle dans laquelle ils se fondent, « car les poètes de l’Empire les pillèrent comme ils avaient pillé les Grecs », ne laissant d’eux que des noms et de maigres fragments (p. LXIV). L'auteur affiche péremptoirement son dédain pour la littérature d’époque impériale, envahie selon lui par le « chiqué » (p. LXVI). On pourrait cependant évoquer la figure de Martial, qui, au premier siècle de notre ère, semble perpétuer la condition précaire des anciens poètes et leur dépendance envers leurs protecteurs.

1. P. Vesperini, Poètes et lettrés oubliés de la Rome ancienne, Paris, 2023.



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