L’opuscule de Lucien qui porte ce titre est l’un des plus réussis de son auteur, alliant vivacité des dialogues et fantaisie de la fiction. Le héros en est Parrhèsiadès, « Franc-Parleur », un des nombreux doubles de l’auteur. Ce personnage est en butte à la vindicte des grands philosophes, remontés des Enfers pour s’en prendre à lui : dans un précédent ouvrage, Lucien n’avait-il pas imaginé de vendre aux enchères les chefs des principales écoles philosophiques, comme de vulgaires esclaves ? C’était une façon de critiquer les genres de vie sordides de leurs sectateurs, bien éloignés des grands principes qu’ils affirmaient. Toujours est-il qu’à l’issue d’un procès comique qui se tient sur l’Acropole, Parrhèsiadès pêche à la ligne, du haut des murailles, les philosophes minables et cupides qui grouillent dans la ville : ils ont aussitôt reniés par leurs chefs d’école respectifs, Platon, Diogène ou Aristote, qui les rejettent par-dessus bord comme du menu fretin.
Dans ce texte entièrement dialogué, on retrouve les ingrédients de la comédie ancienne, celle d’Aristophane, atténués par l’atticisme néo-classique de l’auteur : de sémillantes allégories féminines, comme celles de Philosophie ou de Vérité ; un chœur véhément, celui des Philosophes qui poursuivent de leur colère le sacrilège Parrhèsiadès ; un agôn, débat passionné qui, devant le tribunal des philosophes voit s’affronter le héros et Diogène, porte parole de l’ire des sages ; un défilé de personnages caricaturaux, les pseudo-philosophes que l’on pêche à la ligne, tous appâtés par l’argent.
Ce n’est pas le moindre charme du texte que son enracinement dans l’espace athénien, non tant l’espace réel de la ville que l’espace littéraire dessiné par les textes des poètes dramatiques ou les dialogues de Platon. Lucien superpose en effet à l’Athènes de son temps, (celle du IIe siècle ap. J .-C.), l’Athènes ancienne évoquée par les auteurs classiques. C’est au Céramique que l’on peut trouver Philosophie, dans ce quartier périphérique d’Athènes par où l’on accède à l’Académie de Platon. La jeune femme se promène aussi sur l’Agora, au Pœcile, le fameux Portique des Stoïciens. C’est de là qu’elle monte à l’Acropole, où aura lieu le procès de Parhasiadès, dans le sanctuaire d’Athéna Polias, à l’Erechtheion : le jugement sera placé sous la protection de la déesse, comme celui qui termine les Euménides d’Eschyle. À l’annonce d’une récompense de deux talents, les philosophes assaillent de tous côtés l’Acropole, depuis l’Asclépieion, l’Aréopage et autres lieux chargés d’histoire. Cette surimpression ne vise pas tant à restituer un passé idéalisé qu’à fustiger la misère des philosophes contemporains, drapés dans des prétentions hypocrites. L’ouverture de l’œuvre est digne des meilleures pages de la comédie :
Après ce début tonitruant, les philosophes sont bien obligés de se rendre à l’évidence : leurs partisans actuels sont stupides et vénaux ; ils sont contraints de les renier et de les rejeter hors de l’Acropole.