S’agissant de la représentation des Muses dans la poésie grecque, Hésiode introduit une véritable innovation. C’est la thèse que soutiennent Donatien Grau et Pietro Pucci dans leur livre sur le statut de la parole poétique dans la Grèce archaïque et classique (1). En effet, alors que le poète homérique est au service des Muses qui détiennent la vérité, chez Hésiode « elles suspendent l’autorité que la poésie homérique s’attribue lorsqu’elle se vante de répéter la vérité des Muses ». Car chez Hésiode, les Muses sont aussi capables de dire des mensonges : c’est ainsi que le poète les présente dans le prélude de la Théogonie.
Pour opérer cette audacieuse révolution intellectuelle, qui nie la vérité de la poésie, Hésiode fait apparaître physiquement les Muses devant lui, comme des personnages réels, conscients de jouer un rôle critique par rapport à la poésie épique dont elles sont pourtant les inspiratrices. « Hésiode les fait ainsi sortir de l’imaginaire épique et les insère dans un imaginaire de son invention. » Leur profession de foi :
Le premier de ces deux vers fait allusion à un passage de l’Odyssée (XIX, 103), où Ulysse fait à Pénélope un faux récit plausible, avec une apparence de vérité : ἴσκε ψεύδεα πολλὰ λέγων ἐτύμοισιν ὁμοῖα· « disant beaucoup de mensonges, il les faisait ressemblants à la réalité. » Cependant, attribuer aux Muses une telle attitude, qui ne convient qu’à un mortel, c’est une transgression, mais qui ouvre la voie à la fiction poétique, « à savoir des choses plausibles, inventées et réelles qui composent les histoires dans l’epos. […] Après la révélation explosive d’Hésiode, aucun poète, aucun public ne peut savoir s’il a affaire à une vérité ou à un mensonge semblable à la vérité. » Ainsi s’expliquent les versions concurrentes données par Hésiode du même mythe, comme celui de la naissance d’Aphrodite. Que la déesse ait selon les versions deux pères différents n’est pas étonnant : « la vérité, s’il y en a une, réside dans la valeur symbolique de ces parentages. »