Dans son monologue du début de l’acte II (1, 33-61), le personnage de Macbeth, sur le point d’assassiner son ami Banquo, voit son projet se matérialiser devant ses yeux, au moment même où il le forme, dans une sinistre hallucination :
il croit voir devant lui un poignard, bientôt ensanglanté.
Puis c’est l’heure nocturne qui s’emplit de toutes sortes de présences maléfiques liées aux sorcières qui lui ont prédit son destin.
Parmi celles-ci, le Meurtre personnifié :
Witchcraft celebrates
Pale Hecate's off’rings, and wither'd murder,
Alarum'd by his sentinel, the wolf,
Whose howl's his watch, thus with his stealthy pace.
With Tarquin's ravishing strides, towards his design
Moves like a ghost. (51-56)
La Sorcellerie célèbre
Les rites de la pâle Hécate, et le Meurtre efflanqué,
Alerté par sa sentinelle le loup,
Dont le hurlement lui dit l’heure, d’un pas furtif,
Avec les enjambées de Tarquin le violeur, vers son dessein
Avance comme un spectre. (Trad. J.-M. Déprats.)
L’allégorie s’est précisée jusqu’à prendre l’apparence de la figure du tyran Tarquin le Superbe, sur le point de s’introduire auprès de Lucrèce pour la violer, autre forfait nocturne. L’épisode est bien connu depuis les récits de Tite-Live ou d’Ovide, mais Shakespeare pousse ici plus loin l’intertextualité en évoquant son propre poème Le Viol de Lucrèce, où il étire sur plusieurs centaines de vers cette marche furtive du criminel vers sa victime, que dans le drame il condense en quelques lignes :
Now stole upon the time the dead of night,
When heavy sleep had closed up mortal eyes :
No comfortable star did lend his light,
No noise but owls' and wolves' death-boding cries ;
Now serves the season that they may surprise
The silly lambs : pure thoughts are dead and still,
While lust and murder wake to stain and kill. (162-168)
Le pas furtif du temps glisse au cœur de la nuit,
Le lourd sommeil enfin a clos les yeux mortels.
Nul astre secourable au firmament ne luit,
Loups et hiboux envoient leurs funèbres appels.
C’est pour eux le moment des assauts criminels
Contre les doux agneaux ; les esprits purs sommeillent,
Pour souiller et tuer Luxure et Meurtre veillent. (Trad. H. Suhamy.)
Les mêmes images, les mêmes allégories reviennent dans la tragédie, dont le texte allusif se grossit souterrainement du matériau poétique de l’œuvre précédente.
Marche du temps, marche de l’assassin, progression du projet meurtrier se superposent dans une même nuit sinistre peuplée de présences maléfiques.
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