Selon Antoine Compagnon (1), Montaigne développe une conception du mot foncièrement nominaliste :
De plus, ajoute Compagnon, cette disjonction affecte non seulement les mots, mais aussi tout le discours : pas de relation entre le mot et la chose, le nom et l’individu. « Tous les faits de langage sont entachés de dissemblance, aucun ne colle au réel. » Il en va ainsi des titres des chapitres des Essais, « qui, comme tous les noms, sont toujours impropres car ils ne participent pas de la substance des choses ; ce sont seulement des étiquettes ». Il en va de même pour les sentences et les citations : ce sont des mots appris par cœur, sans rapport juste avec la chose. La même sentence peut ainsi condenser plusieurs significations accidentelles. « D’où la méfiance de Montaigne par rapport à la parole, qui, toujours équivoque et impuissante à enregistrer les variations du réel, dit toujours plus qu’elle ne suppose ou ne voudrait. Dans tout texte, il y a plus à lire qu’il n’est écrit. [...] Que faire ? Professer l’ignorance et se jouer, s’amuser de la faillite irrémédiable du langage. »
Ainsi donc, le pyrrhonisme de Montaigne a aussi sa source dans sa conception du langage. Il en résulte en effet que le discours est affaire de foi, ou plutôt, corrige Compagnon, de crédit attaché aux signes. « Le scepticisme est un nominalisme généralisé. » Ce qui fait le crédit (Compagnon file avec Montaigne la métaphore fiduciaire), c’est la seule autorité que l’on accorde à un énoncé : « Quasi toutes les opinions que nous avons sont prinses par authorité et à credit. » La plupart du patrimoine livresque tient donc de la fausse monnaie, « thésaurisation de signes ni vrais ni faux, mais dont la qualité effective est indéterminable parce qu’ils sont sans fondement ».