Le mythe de Pandore a suscité des approches anthropologiques, dont la plus fameuse est celle de J.-P. Vernant. Violaine Sebillotte Cuchet en reprend à nouveaux frais l’analyse, dans son étude sur la figure d’Artémise, cette reine d’Halicarnasse qui combattit à Salamine dans la flotte perse, et dont Hérodote nous a laissé le souvenir (1). C’est l’occasion pour elle de relier Artémise à d’autres figures féminines, historiques ou légendaires : la thèse défendue par l’ouvrage est que l’historiographie grecque, écrite par les hommes, a occulté le rôle important qu’ont pu jouer certaines femmes dans l’histoire.
C’est dans cette perspective féministe que V. Sebillotte Cuchet rouvre le chantier de Pandore, dont le mythe, rappelons-le, est connu par les deux versions qu’en a données Hésiode, dans chacun des deux grands poèmes que nous connaissons sous son nom, la Théogonie et Les Travaux et les Jours. Ce qu’elle reproche à ses devanciers, c’est de s’être attachés exclusivement à « la création de la femme », « dissociée de son contexte énonciatif et de ses enjeux éthiques ». Or Hésiode était aussi considéré comme « le promoteur d’une tradition morale valorisant le « bien vivre » […] délivrant des règles pour une vie conforme à la justice et à l’ordre divin ». Ainsi, « son enjeu n’était pas de définir la nature des femmes, mais de préciser les bonnes figures sociales qui contribueraient à rendre la société plus juste ». La femme qu’il met en place « n’est donc pas la Femme, mais plutôt un certain type de femme, l’épouse légitime destinée à donner naissance à des héritiers [...] ».
En fait, « le schéma mythique décrit le très classique mariage grec, autrement dit le don ritualisé d’une femme par un homme à un autre homme, dans le dessein de produire des enfants […]. En instituant, avec Pandore, le premier mariage, Zeus organise le mécanisme générationnel du destin des mortels : il institue la parenté via le mariage hétérosexuel. » D’ailleurs, explique V. Sebillotte Cuchet, les maux libérés par Pandore lui préexistaient, tout comme le féminin, puisqu’il existait des déesses. L’enjeu est donc seulement « l’institution de l’union conjugale ».
Avant la dispute entre Zeus et Prométhée qui donne lieu à l’apparition de Pandore, c’est « une vie d’abondance et de plaisirs, partagée avec les dieux, où « la fonction sociale de la génération n’avait pas lieu d’être ». Une fois perdu le partage avec les dieux, par la faute de Prométhée, on est dans un monde où plus rien n’est gratuit, où la survie dépend des réserves de nourriture péniblement engrangées. En décrivant Pandore, « le poète s’attache à un type de cellule conjugale où l’épouse, au logis, est réputée consommer ce que l’époux produit au-dehors ». Elle est protégée par le mariage formel. Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux avoir une femme achetée (une esclave) et non épousée, que l’on pourrait mettre à la charrue ? Mais refuser le mariage, ce serait se priver de descendance ; or « les biens doivent être transmis à un fils ». « La reproduction sexuée n’intéresse que ceux qui possèdent des biens et souhaitent les transmettre à des héritiers. » La sexualité du couple marié ne représente qu’un aspect de la sexualité telle qu’envisagée par les Grecs. Donc, selon V. Sebillotte Cuchet, le mythe de Pandore « n’illustre pas la condition humaine au sens anthropologique », mais une configuration sociale bien particulière.