Micrologies

Légitimité


Pour l’historienne Claudia Moatti, les crises politiques du Ier siècle av. J.-C., à Rome, à travers leur cortège de violences, de guerres civiles, d’affrontements politiques, sont aussi porteuses d’un « haut niveau de réflexion » chez leurs principaux acteurs, Cicéron en tout premier lieu, mais tout autant César ou Pompée (1). Le discours sur la légalité, crucial au moment de l’affrontement entre César et Pompée, traverse, dit-elle, les Commentaires de César et se pose à nouveau après l’assassinat de celui-ci : qui incarne la res publica : les tyrannicides ou bien Antoine puis Octave ?« Des lois votées par le peuple avec violence étaient-elles légales ? Ou encore les décisions d’un tyran engageaient-elles la cité ? » Telles étaient les interrogations qui surgissaient dans le débat public.

Une question essentielle est soulevée en 49 av. J.-C. quand César franchit le Rubicon et s’empare rapidement de la ville de Rome, alors que les autorités politiques légales en ont abandonné les murs : Cicéron, avec les républicains marqués par le stoïcisme, soutient alors que l’exilé d’un tyran emporte avec lui la légalité :

Cicéron répétait que lorsque César avait pris possession de la cité en 49, il avait en fait expulsé et banni la res publica de son siège […]. Ce n’était pas l’avis de César qui tirait sa légitimité des pouvoirs que les sénateurs et le peuple présents à Rome lui avaient confirmés. Où était donc la res publica ? À Rome ou avec le gouvernement en fuite ? (2)

La question a été précisément formulée en ces termes par les principaux acteurs. Pompée avertit ses partisans que ce ne sont pas les murs mais les hommes qui constituent la cité. C’est l’idée que le rebelle Sertorius avait émise quelques décennies plus tôt (et que Corneille lui a fait énoncer d’une façon saisissante : « Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis »). Cicéron, en 49, hésite encore sur ce dilemme avant de rejoindre Pompée.

« Au contraire, pour César donc, Rome fondait la légitimité » : c’est celui qui tient la ville et l’Italie qui incarne la res publica. Cependant, César usurpe vite les droits du peuple, il apparaît comme « celui qui a confisqué la res publica », ce qui justifie son assassinat... La même question se pose après l’assassinat de César, quand les « libérateurs », Brutus et Cassius, quittent l’Italie, ubicumque ipsi essent, praetextentes esse rem publicam : « prétextant que partout où ils se trouvaient, là était la res publica (3) ». « Ainsi, pour les meurtriers de César, la res publica ne se confondait pas avec la cité, ses murs, ses hommes, mais avec eux, les vertueux défenseurs de la liberté et de la res publica. »

Mais quelle qu’ait été l’élévation de ce débat politique et juridique, à chaque fois il ne fut tranhé que par les armes...

1. C. Moatti, Res publica, Paris, 2018, p. 167 sq.
2. Op. cit., p. 170.
3. Velleius Paterculus, 2,62,3 cité par Moatti, op cit., p. 171.



Site personnel de Dominique Morineau - Hébergé par 1&1.