Antoine Lilti consacre un chapitre de son essai L’Héritage des Lumières (1), à l’analyse de deux textes posthumes de Foucault, parus l’un en français, l’autre en anglais, sous le même titre : « Qu’est-ce que les Lumières ? » (2). Se rattachant explicitement à Kant (Was ist Aufklärung ?), Foucault tente de « théoriser une "attitude moderne" qui serait propre à l’Aufklärung et dont Kant aurait donné la première formulation philosophique » (3).
C’est là pour Foucault « le départ d’une tradition intellectuelle qui donne pour tâche à la philosophie de penser son propre temps, ce qu’il a de nouveau, de spécifique, ce en quoi il "diffère" du passé » 5>(5). C’est ici, explique Lilti, que Foucault fait intervenir Baudelaire. Selon celui-ci, la modernité baudelairienne ne renvoie ni à une époque, ni à un ensemble de valeurs, mais à « une attitude envers le présent, un éthos, qui consiste à la fois à reconnaître son appartenance à un moment historique et à en effectuer la critique ». [...] Il met en évidence chez Baudelaire un mélange de fascination à l’égard du présent et de critique du progrès. Cette recherche d’un beau atemporel dans les formes les plus fugitives de la vie moderne, c’est ce que Baudelaire appelait l’héroïsme de la vie moderne », expression, ajoute Lilti, à laquelle Foucault prêtait un sens ironique (6). Ce que révèle donc Foucault, c’est « la modernité comme rapport réflexif au présent ».
Ce qui intéresse le penseur, c’est que Baudelaire n’est pas un philosophe. Son rapport à la modernité est surtout esthétique et existentiel. Baudelaire, poète et dandy, « a expérimenté un nouveau type de rapport esthétique à soi, qui consiste à faire de sa propre vie une œuvre d’art » (7). C’est ce rapport subjectif à l’existence qui lui permet de porter un jugement critique sur l’époque. Ainsi, ajoute Lilti, pour Foucault, « le détour par la modernité baudelairienne permet […] un écart par rapport à l’héritage rationaliste des Lumières. Le diagnostic que le philosophe porte sur le présent […], c’est un geste d’écriture, une intervention dans l’espace du discours qui se fonde à la fois sur un savoir objectif et sur une subjectivité assumée. » (8).