Micrologies

Latin et langues vulgaires


Au Moyen Âge, rappelle Marc Fumaroli, la culture se trouvait partagée entre deux régimes linguistiques (1): le latin des lettrés, langue stable à vocation universelle, et les langues vulgaires, multiples et fluctuantes. Les humanistes italiens ont hérité de cette « diglossie » et se sont posé la question du statut des langues vulgaires : puisqu’ils avaient été capables de restaurer dans sa pureté le latin corrompu par les clercs médiévaux, devaient-ils en faire de même pour les langues courantes ? Certains pensent que seul le latin est capable d’éloquence, d’autres qu’il peut fournir un modèle au développement du vulgaire. Selon Fumaroli, cette question de la langue « est d’emblée et demeurera un des moteurs de la République des Lettres […] ».

Si Dante choisit le toscan, Pétrarque, malgré ses poèmes italiens, milite pour une Renaissance latine. « D’une part, la République latine des Lettres, qui fait de la philologie et de l’antiquariat les sciences mères, génératrices des disciplines « humaines » et de la littérature ; d’autre part la diversité des littératures nationales […]. » D’un côté, un « relatif ésotérisme linguistique », mais qui ne renonce pas à conquérir un public plus large en s’ouvrant aux genres d’agrément (c'est la démarche d'Érasme) ; cependant, « c’étaient tout de même les nouvelles littératures nationales (à commencer par l’italienne) qui avaient l’oreille du grand public […], sachant lire, mais ignorant le latin des humanistes, et héritier dans sa propre langue de traditions littéraires remontant au Moyen Âge plutôt qu’à l’Antiquité ». Malgré tout, à partir du XVIe siècle, cette « diglossie humaniste » présente des signes de rupture : une nouvelle encyclopédie, plus scientifique, s’accommode de moins en moins d’une langue latine trop littéraire (2).

Ce projet de l’humanisme italien, de maintenir deux langues littéraires, « était un projet conservateur. Il restaurait des formes éloignées des choses. […] Cette fidélité à la Rome de Cicéron freinait l’usage du latin comme langue technique, elle perpétuait […] l’imitation maniériste et savante de l’Antiquité destinée à un public confiné ». C’est en France, selon Fumaroli, sous Henri IV, que se développe à côté du latin « une langue littéraire vivante qui se dégage de l’imitation scolaire des Anciens ». Elle peut aussi être adoptée par une nouvelle génération de savants qui s’affranchissent de l’autorité antique, tels Descartes, Mersenne ou Pascal (3).

1. M. Fumaroli, La République des Lettres, Paris, 2015, p. 129 sq.
2. Ibid. p. 215 sq.
3. Ibid. p. 217.



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