Dans une remarque de son Zibaldone (1), Leopardi rappelle l’existence de variations linguistiques dans le champ de la langue latine :
Le poète érudit note donc plusieurs clivages à l’intérieur de la langue : l’un de type sociolinguistique entre une langue « vulgaire » et une langue « noble » ; l’autre qui, à l’intérieur de la langue soutenue, sépare un usage oral et un usage littéraire du latin. Or, nous ne connaissons par définition que la langue écrite, alors que c’est le latin oral qui a donné naissance aux langues romanes. Comment atteindre le latin parlé ? Le linguiste Louis-Jean Calvet signale l’intérêt de la méthode qui consiste à approcher la langue parlée « à travers les écarts par rapport à la norme : fautes d’orthographe et variantes morphologiques » (2). Il en donne l’exemple suivant :
C’est ce « latin vulgaire » que vont diffuser les troupes romaines au nord de la Méditerranée et qui va donner lieu au « proto-roman ». Des efforts inutiles des grammairiens pour le corriger, il nous reste quelques traces qui nous renseignent sur la prononciation courante. C’est le cas, ajoute Calvet (3) de l’appendix Probi, liste de mots figurant au dos d’un exemplaire de ce grammairien, copié au VIIe ou au VIIIe siècle. Ainsi, corrige ce document, il faut dire, par exemple, speculum non speclum (miroir), mensa non mesa (table), auris non oricla (oreille), rivus non rius (rivière). On tient ainsi l’origine de l’italien specchio, de l’espagnol mesa, de l’italien orecchio, de l’espagnol rio.
C’est une facilité de langage, conclut Calvet, que de dire que ces mots « viennent » du latin : « l’expression la plus juste consisterait à dire que telle langue est le latin d’aujourd’hui, ou que specchio est en Italie aujourd’hui le latin speclum mais quinze siècles plus tard […]. En somme, c’est « un lent mouvement dans l’espace et dans le temps » qui entraîne les langues p. 126 : il était aussi à l’œuvre dans la langue latine antique.