Micrologies

Parnasse


Dans son ouvrage La République des Lettres (1), Marc Fumaroli accorde une importance particulière au programme iconographique de la chambre de la Signature, au Vatican, dont les fresques ont été peintes par Raphaël entre 1508 et 1511, à la demande du pape Jules II. Il explique en effet que le programme pictural de ces fresques est issu d’une collaboration étroite entre l’artiste et les lettrés du temps, humanistes ou théologiens. C’est, pour Fumaroli, la structure nouvelle des « académies » de lettrés qui permet une telle rencontre : « La réhabilitation de la poésie et de l’éloquence, dont les académies étaient le lieu d’exercice et la garantie, postulait à plus ou moins long terme la réhabilitation de pratiques jusque-là exclues du cercle des arts libéraux par l’enseignement universitaire (2). » Les arts plastiques ou l’architecture étaient en effet ignorés par le quadrivium médiéval (arithmétique, géométrie, astronomie, musique).

Or il se trouve que le programme de la chambre de la Signature met précisément en œuvre cette nouvelle synthèse, et à plusieurs niveaux : si sur trois des murs sont représentés allégoriquement la Théologie, la Philosophie (avec L’École d’Athènes) et le Droit canon, selon une division traditionnelle des savoirs, « sur le quatrième mur, Raphaël a représenté le Parnasse, l’Académie des poètes, et avec elle, le principe nouveau des « lettres » tel qu’il est apparu depuis Pétrarque » (3).

Mais il y a plus : non seulement l’influence académique se manifeste dans le programme iconographique établi par les lettrés mais elle s’étend aussi à la disposition des figures dans ces fresques : « Au lieu d’allégoriser les sciences par des figures isolées […], le peintre les a représentées sur les murs sous l’aspect de « conversations savantes », dont les débats renvoient à une vérité harmonique supérieure. L’esprit du banquet académique est étendu à la théologie et à la philosophie (4). » Ainsi en va-t-il au premier chef de la fresque du Parnasse : « Une assemblée de poètes couronnés, mêlant au-dessus du temps les auctores antiques (Homère, Virgile) et humanistes (Dante, Pétrarque) à leurs successeurs de l’Académie romaine, est réunie sur le Parnasse, parmi les Muses, autour d’Apollon citharède (5). »

L’attribution de certaines figures, selon les spécialistes, est sujette à caution : si par exemple, on reconnaît aisément, en haut à gauche, derrière Homère, Dante protégé par Virgile, d’autres personnages, poètes anciens et modernes, semblent confondus, d’autant qu’il n’est pas impossible que le peintre ait donné à des poètes anciens le visage de certains de ses contemporains. C’est en fait l’égale distribution des figures qui est significative du programme humaniste : il faudrait y reconnaître, selon certains historiens, neuf poètes anciens et neuf poètes modernes, comme il y a neuf Muses, et neuf cordes sur la lyre d’Apollon...

 Raphaël Parnasse
Raphaël, Le Parnasse, via Wikimedia Commons.

1. M. Fumaroli, La République des Lettres, Paris, 2015.
2. Op. cit., p. 157.
3. Ibid., p. 331.
4. Ibid., p. 158.
5. Ibid..



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