Micrologies

Shakespeare baroque


Marquée à ses débuts par l’esthétique maniériste, l’œuvre de Shakespeare évolue vers une théâtralité proprement baroque : c’est ce que montre Gisèle Venet à propos d'Antoine et Cléopâtre (1)). Dans cette pièce pourtant très fidèle à Plutarque, sa source antique, elle met en lumière « l’instabilité dynamique d’un récit qui partage sans cesse l’attention entre deux pôles, Rome et l’Égypte, dont aucune des valeurs concurrentes ne paraît pour finir clairement l’emporter ». Non pas une antithèse simplificatrice, mais « l’interpénétration des deux mondes », frappés par une double crise et une double menace. Entre ces deux pôles, la pièce revêt selon G. Venet la forme d’une ellipse, à l’époque même où Kepler découvre que cette figure permet de comprendre la trajectoire des planètes. De même que le soleil est décentré dans les calculs de l’astronome, Rome ou l’Égypte n’occupent pas le centre du drame, mais les deux foyers de l’ellipse.

Ainsi, on pourrait opposer au classicisme (dont la figure de base serait l’antithèse, l’opposition des contraires), le baroque, qui serait fondé sur la réunion des contraires, tels, dans la tragédie, Antoine et Octave, frères et ennemis, et au plus haut degré Cléopâtre, dont les contradictions font l’unité en tant que personnage : amante passionnée et séductrice retorse, intrigante machiavélique et souveraine pleine de grandeur, capable de loyauté et de trahison, de faiblesse et d’héroïsme. Ainsi les héros se révèlent ils tous « irréductibles à une perception uniforme ».

G. Venet peut alors rapprocher Shakespeare de Montaigne, avec qui il partage une esthétique « chargée d’exprimer le soupçon que toute apparence pourrait tromper et toute certitude égarer, une esthétique en quête des formes qui sauraient dire l’intuition d’une perte de toute norme, d’une absence de tout point fixe, des formes qui rendraient compte de "l’inconstance de nos actions", due à l’inconstance du monde lui-même, selon Montaigne ».

1. Voir Shakespeare, Tragédies, t. II, Paris, 2002, Bibl. de la Pléiade, p. 1488-1524.



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