Shakespeare a trouvé le trame du Songe d’une nuit d’été dans les Contes de Canterbury de Chaucer (« Le Conte du chevalier »). Mais ce qu’il apporte en propre à sa création, c’est l’atmosphère irréelle et légère qui baigne la pièce entière, avec les chassés-croisés des couples d’amants égarés, à tous les sens du terme, qui fuient Athènes et se perdent dans la forêt nocturne. C’est le cas de Lysandre et d’Hermia, contraints de dormir sur l’herbe. C’est l’occasion d’un plaisant jeu amoureux entre ces amants de convention. Lysandre se fait quelque peu entreprenant, qui voudrait bien s’allonger tout contre Hermia. La jeune fille, cependant, préférerait qu’il dorme un peu plus loin :
La jeune fille a utilisé deux fois le verbe to lie, s’allonger. Mais un verbe homonyme signifie aussi « mentir », « tromper ». Lysandre s’en empare, et joue sur le double sens pour mieux revendiquer une sincérité… tout-à-fait trompeuse. C’est l’union des âmes qu’il recherche, dit-il : deux cœurs aussi unis que les leurs ne peuvent-ils dormir côte à côte ? Mais cette protestation d’une union des âmes, toute platonique, est le moyen d’obtenir la proximité des corps, qui l’est beaucoup moins.
L’homophonie lié / lit à, dans la traduction de J.-M. Déprats, donne un équivalent (mais à une autre place) du jeu de mots de l’anglais. Et Lysandre conclut ainsi : For lying so, Hermia, I do not lie. Comment rendre les ambiguïtés de ce vers et du premier lying ? D’une part, en s’allongeant près d’elle, il ne cherche pas à la tromper (c’est son discours rassurant), mais aussi, lui tenant un discours ambigu et mensonger, il exprime la vérité de son désir… La première solution, la plus plate, est de rendre le sens apparent, littéral, tout en l’assortissant d’une note : c’est ce que fait François Guizot (1862), qui rend ainsi la phrase : « Ne me refusez donc pas une place à vos côtés, pour me reposer ; car en me couchant ainsi je ne mens point ». [Note : « Équivoque sur le verbe to lie, se coucher et mentir. »] François-Victor Hugo (1865), plus habile, cherche un équivalent à l’équivoque de l’anglais en jouant sur « serrement » et « serment » : « Ne me refusez donc pas un lit à votre côté, — car, en vous serrant sur moi, Hermia, j’exécute un serment. » C’est la solution reprise par J.-M. Déprats : « Aussi ne me refusez pas un lit à vos côtés : / En me serrant près de vous, Hermia, je ne romps pas mon serment. » Paul Spaak, en 1919, proposait un autre jeu de mots, mais qui laissait de côté l’idée de tromperie : « Laissez-moi donc dormir tout près de votre couche, / Car ce n’est que si je vous touche / Que mon amour sera touchant !… » Plus directe, la version de René-Louis Piachaud (1923) : « Oh ! Ne me niez pas ma place à vos côtés : ne m’y puis-je coucher sans coucher avec vous ? »
C’est aussi la délicatesse d’un jeu qu’Hermia comprend fort bien qui fait le charme de ce marivaudage avant l’heure :