Micrologies

Britannicus


Comment est mort Britannicus ? On sait que le jeune homme, fils de l’empereur Claude et de sa troisième épouse Messaline, âgé de quatorze ans à peine, décéda brutalement au cours d’un banquet, en 55 ap. J.-C. ; peu auparavant, Agrippine, dernière épouse du prince, avait très certainement empoisonné celui-ci pour faire monter sur le trône le fils issu de son premier mariage, Néron. Les circonstances de la mort de Britannicus restent très discutées, même si les suspects et les mobiles ne manquent pas pour conclure à un assassinat.

On a pu néanmoins soutenir que le jeune prince était mort de mort naturelle : Tacite nous apprend qu’il était épileptique comme son père Claude ; une crise aurait provoqué une rupture d’anévrisme : c’est en tout cas l’explication donnée par Néron et retenue par Pierre Grimal (1). Mais ce n’est pas la thèse adoptée par Paul Veyne, qui exerce son ironie sur ce genre de théories :

Certains historiens modernes croient […] que Britannicus est bien mort de maladie (ce qui, soyons juste, a bien une chance sur dix ou sur cent d’être vrai), et l’un d’eux a même publié une lettre de son médecin. Quand la Faculté a parlé, il faut s’incliner. Mais ma femme, elle-même médecin, a bien voulu me faire un certificat, selon lequel elle aurait refusé le permis d’inhumer Britannicus (2).

P. Veyne replace en effet la mort de Britannicus dans un cadre plus large, celui des successions dynastiques dans le monde antique. Il cite à ce sujet un passage de Plutarque : « Presque toutes les dynasties sont pleines de meurtres d’enfants, de mères et d’épouses ; quant à l’exécution des frères, c’était une coutume générale, une sorte de postulat comparable aux postulats admis par les géomètres et que l’on accordait aux rois en vue de leur sécurité » (3). Tibère, Caligula avaient commencé leurs règnes par l’assassinat de leurs proches ; Claude n’y avait pas eu recours : tous ses proches parents étaient déjà morts.

On comprend alors, selon Veyne, que Sénèque, dans son traité De clementia, publié en 56, ne fasse pas allusion à ce meurtre, puisqu’il semble relever d’une sorte de tradition et que d’ailleurs son ouvrage a pour but d’encourager les vertus politiques du jeune empereur : on est en plein dans le quinquennium, ces cinq premières années heureuses du règne de Néron.

Mais, derechef, qui est à l’origine de la mort de Britannicus ? Faut-il en rester à Tacite, lequel formule une hypothèse qui n’est pas sans vraisemblance (4) ? Agrippine, sentant que Néron commençait à échapper à son influence, aurait exercé sur lui une sorte de chantage : après tout, Britannicus était le fils légitime de Claude ; il pouvait sans doute se montrer plus docile envers sa belle-mère que le fils ingrat qu’elle avait placé sur le trône… Néron, par crainte de sa mère, aurait voulu se débarrasser d’un rival. Mais certains historiens soulignent à l’inverse qu’il est difficile de concevoir que Néron ait fait perpétrer ce meurtre en sa présence, et qu’il soit resté imperturbable. Et d’ailleurs, aucun poison connu n’était assez violent pour provoquer une mort foudroyante… Dans la rareté relative des sources, nous sommes en fait dépendants de la version de Tacite, pour nous la plus ancienne ; l’historien latin est farouchement hostile à Néron ; ce n’est pas non plus une raison suffisante pour rejeter tous ses dires...

Mort Britannicus
La Mort de Britannicus, F. Chauveau, 1675, via Wikimedia Commons.

1. Voir la notice de Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Britannicus.
2. P. Veyne, in Sénèque, Entretiens, Lettres à Lucilius, Paris, 1993, p. XXV et n.1.
3. Plutarque, Vie de Démétrius, III, 5, cité par Veyne, loc. cit.
4. Tacite, Annales, XIII, 14. .



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