Ovide chez les Scythes est une œuvre tardive de Delacroix, exposée au Salon de 1859. La tonalité élégiaque du tableau est surdéterminée par sa source littéraire, les Tristes d’Ovide, recueil de poèmes d’exil dont le caractère très personnel confère une intensité particulière au mètre élégiaque choisi par le poète latin. Mais chez Delacroix l’élégie a une couleur proprement picturale, qui rapprocherait plutôt le tableau de l’atmosphère bucolique des Églogues de Virgile : les personnages sont représentés dans un vaste paysage naturel, sans autre trace d’activité humaine que quelques huttes éparpillées, et dans une atmosphère légèrement brumeuse qui unifie hommes et nature dans une harmonie sublime de verts, de bleus, d’ocres, aux nuances atténuées, apaisées. Les figures humaines elles aussi sont dispersées entre gazons et bosquets ; des animaux, cheval et chien, jument que l’on trait, font le lien avec le monde naturel. Cette fusion des éléments représentés était notée par Théophile Gautier comme la marque spécifique de ce peintre, à l’égal de Rembrandt :
Il semble bien cependant que la source principale de Delacroix pour l’évocation du pays des Scythes ne soit pas Ovide lui-même, mais le géographe Strabon, « qui remarquait leur modèle social communautaire et harmonieux, la simplicité de leur économie, la frugalité et l’innocence de leurs mœurs » (2).
C’est à quoi Baudelaire fut sensible lui aussi, dans la recension qu’il fait du tableau dans son Salon de 1859 :
Starobinski, qui commente à son tour Baudelaire, note comment, pour celui-ci, à la fusion entre les éléments du tableau s’ajoute celle de l’œuvre et de son spectateur : ciel / horizon de la mer / yeux / pensée / tendance / rêverie : « Tout se passe comme si l’esprit de Baudelaire se plongeait dans l’espace extérieur, mais pour le quitter, se tourner vers un être aimé, puis vers soi-même. C’est le mouvement d’une subjectivation (4). »