Micrologies

Historiè


Quand on entreprend de donner un contenu à la formule traditionnelle qui fait d’Hérodote « le Père de l’histoire », on cherche souvent à distinguer son approche du passé de celle de ses prédécesseurs grecs, poètes épiques ou auteurs de généalogies mythiques. Un des intérêts de l’approche d’Alain Schnapp, c’est qu’il entreprend de situer l’historien non seulement dans le champ culturel grec, mais aussi par rapport au monde oriental (Égypte ou Mésopotamie) (1).

Déjà les scribes orientaux, écrit-il, « maîtrisaient les techniques d’exploration du passé, ils étaient habiles à critiquer, à classer et à interpréter les textes et les monuments laissés par leurs prédécesseurs parfois très lointains ». En ce sens, ils faisaient indubitablement œuvre d’histoire. Mais, ajoute-t-il, « le scribe décrit les exploits, vante les monuments de son maître, et ceux-ci, par définition, ne peuvent être que splendides ».

Hérodote, lui, affirme son autonomie : « il ne parle ni au nom d’un roi, d’un prince ou d’un corps constitué, mais il affirme d’emblée sa curiosité et sa volonté de témoigner des erga, des œuvres des hommes, pourvu qu’elles soient « grandes et merveilleuses ». Il entend aussi parler de tous les hommes, qu’ils soient Grecs ou Barbares. Indépendance et universalité : « deux principes même du "métier d’historien" ». Avec lui, ajoute Schnapp, « l’enquête historique se dégage des hiérarchies pesantes, des traditions toutes faites, du contrôle des cours et des souverains » pour fonder un savoir universel qui s’affranchit de la tradition des scribes. Son travail ne procède pas de l’accumulation du savoir à l’oeuvre dans les États centralisés, mais surgit du monde modeste des cités aux ressources bien plus limitées. « L’historiè est une sorte de prise de parole du faible face au fort, de l’individu face aux appareils, de la curiosité face aux traditions. Non que les scribes n’aient pas été à leur manière des curieux, mais leur intérêt pour le passé était limité à la tradition de leurs souverains et de leur culture. D’emblée, au contraire, l’historiè d’Hérodote se proclame autonome et universelle. »

1. A. Schnapp, Une histoire universelle des ruines, Paris, 2020, p. 119.



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