Micrologies

Gautier : le romancier et ses personnages


Dans les premiers chapitres de Mademoiselle de Maupin, le héros-narrateur, D’Albert, apparaît comme une caricature romantique : vieux alors qu’il est jeune, désabusé sans avoir vécu, méprisant les femmes au nom d’un impossible idéal féminin, il se complait à étaler ses états d’âme dans de longs discours dont la verbosité même n’est pas sans humour ; l’auteur joue en fait avec cette ambiguïté entre le premier et le second degré : il agace le lecteur par quelques longueurs, mais s’arrête à temps pour ne pas le lasser. Tous les codes du romantisme sont exhibés, mais tenus à une distance légèrement ironique par un style parfaitement maîtrisé. En fait, l’utilisation du je du personnage permet à l’auteur de laisser D’Albert exprimer tous les excès romantiques qu’il n’assumerait pas en son propre nom.

En effet, ce n’est pas la moindre qualité du roman de Gautier que l’humour. C’est dans la distance que celui-ci procure que s’établit une forme de légèreté et d’élégance qui atténue tout ce que le premier degré pourrait avoir de scabreux. (Rappelons que Madelaine de Maupin, qui a pris l’habit d’homme et se fait appeler Théodore, est aimée sous ce nom à la fois par D’Albert et par la maîtresse de celui-ci, Rosette.) L’humour est le fait du narrateur envers ses personnages, mais aussi de ceux-ci envers eux-mêmes. Ainsi D’Albert se juge avec le recul nécessaire et pousse jusqu’à une extravagance calculée ses théories amoureuses ou esthétiques. Par exemple, dans ce passage irréligieux, voire voltairien qui compare la Madone à la Vénus anadyomène : volupté de la déesse antique, fausse humilité de la sainte Nitouche, entourée d’anges plutôt suspects, vrais « petits-maîtres du ciel » : « Si j’étais Dieu, je me garderais de donner de tels pages à ma maîtresse. »

Le roman est composé d’une quinzaine de chapitres qui sont autant de lettres adressées par D’Albert et Madelaine à des confidents aux noms génériques (Silvio, Graciosa) auxquels il n’est pas demandé de répondre. Ces lettres sont très longues, écrites sur le ton de la confession, sortes de vastes épanchements narratifs et poétiques dans lesquels l’épistolier semble se saisir lui-même en tant que sujet dans le moment même où il s’écrit. D’Albert est plus égotiste, Madelaine plus sèche et moins complaisante. La limitation du point de vue permet d’entretenir le mystère sur l’identité de cette dernière mais donne aussi au lecteur la possibilité d’englober la vérité avant le narrateur. Mais certains chapitres, à des moments-clés, sont pris en charge par un narrateur extérieur, ironique et bienveillant, qui rétablit une juste distance avec des personnages auxquels il n’accorde pas toute son empathie.



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