Micrologies

Le tiret chez Gautier


L’écriture de Théophile Gautier, particulièrement soignée, repose souvent sur des effets de style qui, pour être subtils et élégants, n’en sont pas moins répétitifs et sentent la fabrication.

Dans Mademoiselle de Maupin, on peut repérer par exemple une poétique du tiret, dont l’auteur use avec indiscrétion, mais dont il tire des effets certains. Dans le début du roman, par exemple, souvent un tiret double une autre ponctuation de façon redondante, croit-on d’abord. Ainsi dans cet extrait du premier chapitre :

Sous ce linceul d’ennui nonchalant et affaissé dont je t’ai parlé tout à l’heure remue parfois une pensée plutôt engourdie que morte, et je n’ai pas toujours le calme doux et triste que donne la mélancolie. – J’ai des rechutes et je retombe dans mes anciennes agitations. Rien n’est fatigant au monde comme ces tourbillons sans motif et ces élans sans but. – Ces jours-là, quoique je n’aie rien à faire non plus que les autres, je me lève de très grand matin, avant le soleil, tant il me semble que je suis pressé et que je n’aurai jamais le temps qu’il faut ; je m’habille en toute hâte, comme si le feu était à la maison, mettant mes vêtements au hasard et me lamentant pour une minute perdue. – Quelqu’un qui me verrait croirait que je vais à un rendez-vous d’amour ou chercher de l’argent. – Point du tout. – Je ne sais pas seulement où j’irai ; mais il faut que j’aille, et je croirais mon salut compromis si je restais. – Il me semble que l’on m’appelle du dehors, que mon destin passe à cet instant-là dans la rue, et que la question de ma vie va se décider.

En fait, chaque tiret introduit une sorte de césure dans le mouvement de la pensée, comme si chaque phrase tournait court, et que la suivante était comme un nouveau départ. Cela va bien avec le caractère blasé du narrateur, D’Albert, avec la lassitude nonchalante qu’il affecte.

Mais au chapitre XIV, dans les discours de Rosette, amante malheureuse, le même tiret, dans un discours direct, devient signe de l’émotion, du désordre amoureux :

– Théodore, écoutez-moi, dit Rosette en se relevant et en rejetant ses cheveux des deux côtés de sa figure, autant que je pus le discerner à la faible lueur que les étoiles et un croissant de lune très mince, qui commençait à se lever, jetaient dans la chambre dont la croisée était restée ouverte ; – la démarche que je fais est étrange ; – tout le monde me blâmerait de l’avoir faite. – Mais vous allez partir bientôt, et je vous aime ! Je ne puis vous laisser ainsi sans m’être expliquée avec vous. – Peut-être ne reviendrez-vous jamais ; peut-être est-ce la première et la dernière fois que je dois vous voir. – Qui sait où vous irez ? Mais où que vous alliez, vous emporterez mon âme et ma vie avec vous. – Si vous étiez resté, je n’en serais pas venue à cette extrémité.


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