Dans son riche manuel sur l’humanisme renaissant, Jean-Christophe Saladin consacre une notice à l’histoire du texte biblique et au rôle capital d’Érasme dans sa transmission (1).
Au Moyen Âge, explique-t-il, le texte latin de la Vulgate s’est considérablement dégradé : il est recopié par des moines ignorants ; on préfère l’étude de commentaires à celle du texte lui-même ; la comparaison avec les textes hébreu et grec est impossible, par méconnaissance de ces langues. De plus, « comme il n’est pas question de traduire les textes sacrés dans les langues modernes, de peur que le clergé ne perde son monopole sur le sacré et la liturgie, ces dérives s’aggravent au fil du temps ».
Cependant, au XIVe siècle, paraissent la traduction anglaise de Wyclif, et celle, française, de Raoul de Presles, à la demande du roi Charles V. Le retour au grec des savants humanistes fait naître alors l’idée de réviser la Vulgate, « au grand scandale du clergé. Cela reviendrait à dire que la parole de Dieu (inspirateur de la Bible), soit être soumise aux mêmes règles philologiques que la parole des hommes. » Au milieu du XVe siècle, l’humaniste Lorenzo Valla parvient à comparer le Nouveau Testament latin avec un manuscrit grec : il n’y relève pas moins de 484 passages fautifs. Son travail est étouffé par la papauté. Un peu plus tard, Jean Reuchlin s’intéresse, lui, au texte hébreu de l’Ancien Testament.
C’est en 1504 qu’Érasme découvre un exemplaire du travail de Valla, qu’il fait rapidement imprimer. Il conçoit alors le projet d’une nouvelle traduction latine du Nouveau Testament, à partir du grec. À cette fin, il se perfectionne en grec et obtient un doctorat de théologie. En 1516 il publie enfin une édition bilingue du Nouveau Testament, avec le texte grec en regard de sa traduction latine. Il y modifie, entre autres, le texte du Pater noster. Le scandale est calmé à Rome par le pape Léon X, mais l’année suivante, Luther s’autorise d’Érasme pour critiquer l’Église romaine. En butte à des attaques incessantes, celui-ci poursuit son œuvre en publiant des Paraphrases des textes néo-testamentaires, sans jamais rompre avec Rome.